Pierre-Yves Lambert, La participation politique des allochtones en Belgique - Historique et situation bruxelloise, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant (coll. Sybidi Papers), juin 1999,  122p., ISBN 2-87209-555-1
avertissement: cette version en ligne ne correspond pas exactement à l'ouvrage publié en 1999, qui reste disponible chez l'éditeur Academia-Bruylant, de même que d'autres dans l'excellente collection Sybidi Papers, elle ne peut donc être utilisée pour les citations 

Sommaire -  Introduction -Chapitre I - Chapitre II - Chapitre III - Chapitre IV - Chapitre V -  Conclusions - Sources

I. 4. Les Européens communautaires et l'acquisition de nationalité

Un nombre important de mineurs d’âge européens sont devenus automatiquement belges en 1985 parce que nés en Belgique d’une mère belge. Ce phénomène s’est reproduit en 1992 pour ceux nés d’un parent lui-même né en Belgique, quelle que soit sa nationalité. Par la suite, la proportion des Européens communautaires dans l’ensemble des acquisions de nationalité a considérablement chuté, alors qu’ils représentent encore plus de la moitié des étrangers résidant en Belgique.

Tableau 1. Pourcentage des ressortissants UE par rapport au total pour l'acquisition de la nationalité belge (INS & CECLR 1999)

1985

1986-91

1992

1993

1994

1995

1996

1997

77,8

49,8

62,8

17

16,3

15,1

14,7

10,6

La proportion des ressortissants de l'Union Européenne dans les statistiques d’acquisition de la nationalité belge va probablement encore diminuer pour diverses raisons:

La Convention de Strasbourg, adoptée par le Conseil de l’Europe le 6 mai 1963 en vue de réduire les cas de " pluralité de nationalité " entre Etats membres, a été ratifiée par la Belgique le 19 juillet 1991 - alors qu’elle était déjà d’application en France et en Italie depuis 1968. Désormais donc, le ressortissant d'un Etat ayant ratifié tous les articles de cette convention (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, France, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Suède) qui acquiert volontairement la nationalité d’un autre Etat partie à la Convention perd donc automatiquement sa nationalité d'origine. La Grèce, la Turquie, le Portugal, la Suisse et le Royaume-Uni, bien que membres du Conseil de l’Europe, ne prévoient pas (ou plus, pour la Turquie et le Portugal depuis 1981) la perte de leur nationalité pour leurs ressortissants qui en acquièrent une autre, sauf demande exprèsse de leur part.

Tableau 2. Population non belge et acquisition de la nationalité belge (INS et CECLR 1999)

nat. d’origine

rec. 1981

INS 1.1.98

chang.de nat.1985-97

Italie

279.700

205.782

64.897

France

103.512

103.563

26.411

Pays-Bas

66.233

82.300

15.428

Espagne

58.255

47.415

7.865

Allemagne

26.756

33.320

5.026

Grèce

21.230

19.216

4.312

Royaume-Uni

23.080

26.095

3.414

Portugal

 

25.276

2.104

 

Pour les ressortissants français, "l’enfant possédant à la naissance les deux nationalités les conserve, sauf s’il choisit de renoncer à l’une d’entre elles", "par exemple, un enfant de père belge et de mère française, ou vice-versa, est à la naissance double national et conserve ses deux nationalités" (Consulat général de France à Bruxelles, Trait d’Union, n°4, mai 1997).

Quant aux Italiens, la loi (italienne) du 5 février 1991 leur permet de conserver leur nationalité d’origine même en cas d’acquisition volontaire d’une autre nationalité, mais cet aspect de la loi n’est pas valable dans les pays qui ont ratifié la Convention de Strasbourg (article 26.3). " Par conséquent, si un citoyen italien acquiert par naturalisation par exemple la nationalité américaine, puisque les Etats-Unis ne sont pas signataires de la Convention de Strasbourg, il reste également citoyen italien, alors que si le même citoyen italien acquiert la nationalité belge (...) il perd automatiquement la nationalité italienne." ("Chiarimenti sulla doppia cittadinanza", Qui Italia, juin 1997, p.25).

L'Espagne, de son côté, limite le cumul des nationalités, tant pour la diaspora espagnole que pour les étrangers résidant en Espagne, aux Etats avec lequel il a signé un traité ad hoc (Amérique latine, Philippines, Andorre, Guinée Equatoriale, Portugal). L'Espagnol de Belgique qui acquiert la nationalité belge perd donc la nationalité espagnole.

La décision d’acquérir volontairement la nationalité belge ne se prend donc pas à la légère pour un Italien, un Français, un Néerlandais, un Espagnol ou un Allemand car elle implique pour l’intéressé une rupture émotionnellement chargée parfois considérée comme une véritable trahison dans le milieu familial. La conséquence en est la persistance d'un nombre important d’étrangers "statistiques" qui résident en Belgique depuis trente, quarante ans ou plus, voire y sont nés, étant donné que ces cinq nationalités représentaient à elles seules 472.380 personnes au 1/1/1998, soit 52,3% de tous les étrangers résidant en Belgique et 4,6% de la population totale du Royaume.

En d'autres termes, étant donné la limitation de la "citoyenneté européenne" aux droits de vote et d'éligibilité aux élections locales et européennes, ces "citoyens européens étrangers" pourraient durablement constituer une minorité dépourvue du droit de suffrage au niveau des élections législatives régionales et fédérales belges. Cette perspective ne semble pour autant pas encore préoccuper les responsables politiques belges.

Pourquoi a-t-on voulu limiter les cas de "pluralité de nationalités" ?

"Dans le but de réaliser une union plus étroite entre les différents Etats membres", d’après le Consulat général de France à Bruxelles (op. cit.), qui considère néanmoins, dans la même publication à destination des Français de son ressort, que "l’importance du nombre de doubles-nationaux (...) représente (...) un gage d’ouverture dans le pays d’accueil" !

Un protocole additionnel à la Convention de Strasbourg, adopté le 2 février 1993, prévoit cependant la possibilité, dans certaines circonstances, de conserver la nationalité d’origine même en cas d’acquisition volontaire de la nationalité d’un autre pays signataire. Jusqu’ici, des accords en ce sens ont déjà été conclus entre l’Italie et la France (applicables depuis le 24 mars 1995), et entre l’Italie et les Pays-Bas (applicables depuis le 20 août 1996).

Une des conséquences de la binationalité, quand celle-ci concerne des ressortissants de deux Etats membres de l’Union Européenne, est le bénéfice du double droit de vote aux élections européennes, uniquement exclu par le Traité de Mastricht pour les étrangers communautaires qui s’inscrivent sur les registres électoraux de leur pays de résidence. Le principal groupe concerné, probablement plusieurs dizaines de milliers de personnes, est celui des Franco-Belges, étant donné d’une part le nombre important de mariages " mixtes " entre Français et Belges, d’autre part la transmission de la nationalité française tant par le père que par la mère.

Une nouvelle Convention européenne sur la nationalité datant du 4 décembre 1997 prévoit (art.15 a) que " les dispositions de la Convention ne limitent pas le droit de chaque Etat Partie de déterminer dans son droit interne si ses ressortissants qui acquièrent ou possèdent la nationalité d’un autre Etat gardent ou perdent la nationalité de cet Etat Partie ", ce qui constitue une rupture par rapport aux principes édictés par la Convention de 1963. Néanmoins, un autre article (26.2 a) précise que "cette Convention ne porte pas préjudice à l’application de la Convention sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités de 1963 et de ses protocoles".

La nouvelle Convention de Strasbourg recommande d’ailleurs à tous les Etats signataires de reconnaître la transmission de la nationalité par la mère. Concrètement, un telle disposition entraîne la multiplication des cas de bi-, voire de trinationalité à la naissance, puisque la Convention de 1963 exclut de son champ d’application les cas de pluralité de nationalité quand ils ne résultent pas d’un acte volontaire de la personne.

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