Pierre-Yves Lambert, La participation politique des allochtones en Belgique - Historique et situation bruxelloise, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant (coll. Sybidi Papers), juin 1999,  122p., ISBN 2-87209-555-1
avertissement: cette version en ligne ne correspond pas exactement à l'ouvrage publié en 1999, qui reste disponible chez l'éditeur Academia-Bruylant, de même que d'autres dans l'excellente collection Sybidi Papers, elle ne peut donc être utilisée pour les citations 

Sommaire -  Introduction -Chapitre I - Chapitre II - Chapitre III - Chapitre IV - Chapitre V -  Conclusions - Sources

I. 5. Les "non Européens" et l'acquisition de la nationalité

Dès le début des années quatre-vingts, un certain nombre de militants et de travailleurs sociaux marocains, surtout des personnes arrivées en Belgique sous statut étudiant, souvent mariés à des non Marocains, demandèrent et obtinrent la nationalité belge, malgré l'attitude hostile à cette démarche du roi Hassan II et des organisations ("Amicales") inféodées au régime marocain. Cette attitude contrastait avec celle des autorités turques à la même époque, relayées tant par la presse turque (largement diffusée en Belgique) que par des responsables politiques turcs qui encourageaient leurs compatriotes expatriés à prendre "le passeport belge", soulignant tant les avantages matériels y afférant que le maintien de la nationalité turque (Özgüden 1984).

Les autorités marocaines et leurs succursales associatives (Amicales des travailleurs et commerçants, Union des Associations d’origine Marocaine, Conseil Consultatif de la Communauté Marocaine) ont adopté une nouvelle position entretemps, comptant sur la constitution d'une sorte de "lobby marocain" en Europe pouvant influencer la politique des Etats européens vis-à-vis du Maroc. Ainsi, sur neuf responsables des Amicales marocaines de Charleroi (Moniteur Belge 17/12/1998), six sont de nationalité belge. Certains employés de l'ambassade et des consulats du Maroc sont également des binationaux. Cette idée de "lobby" à l'échelle européenne existe également dans le chef tant des autorités turques que des organisations politiques turques de toutes tendances, y compris les ultranationalistes et les islamistes qui encouragent leurs affiliés et sympatisants à effectuer les démarches pour acquérir la nationalité belge.

Les "non Européens", au rang desquels les Turcs (la Turquie, bien que membre du Conseil de l'Europe, n'est pas signataire de la Convention de Strasbourg) et les Marocains, conservent leur nationalité d'origine sauf si leur pays d'origine la leur retire, la plupart du temps contre leur gré, comme pour l’homme politique marocain Abraham Serfaty ou pour certains réfugiés politiques turcs déchus de leur nationalité.

En 1996, le gouvernement marocain a opposé son veto à la nomination d'Ali Serghini, proche collaborateur de Charles Picqué, comme représentant de la Communauté française de Belgique au Maroc, avec pour argument qu'un Marocain ne peut pas représenter un Etat (dans ce cas, une entité subétatique) étranger dans son propre pays. Ce genre d'incident (non médiatisé) met en relief le problème de la double allégeance et pourrait par exemple se répéter à l'occasion de l'envoi de militaires belges binationaux dans des missions de maintien de la paix, au Sahara occidental ou au Kurdistan par exemple, mais aussi dans l'ex-Yougoslavie.

Un autre incident, beaucoup plus médiatisé celui-là, a eu lieu en 1996 quand des supporters belges d'origine turque ont d'office été enjoints de prendre place dans les gradins réservés aux supporters turcs lors d'un match Belgique-Turquie à Bruxelles, certains d'entre eux ayant ainsi été séparés de leurs conjoints et belles-familles autochtones...

Tableau 3. Population non belge et acquisition de la nationalité belge (INS et CECLR 1999)

nat. d’origine

rec. 1981

INS 1.1.98

chang.de nat.1985-97

Maroc

105.133

132.831

63.157

Turquie

65.587

73.818

38.129

Algérie

 

8.878

6.618

Tunisie

 

4.655

5.938

Congo

 

12.130

4.945

 

Pour les étrangers nés dans un pays signataire de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 ou d’un accord bi- ou multilatéral avec la Belgique, soit la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe (y compris donc la Turquie et les Etats successeurs de la Yougoslavie), les extraits d’acte civil demandés pour la procédure d'option ou de naturalisation sont dispensés de légalisation. Les Etats maghrébins et la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) n’étant signataires ni de la Convention ni d’autres accords similaires, l’obtention et la légalisation d’extraits d'actes de naissance, indispensables pour entamer la procédure, nécessitent de s'adresser aux autorités municipales du lieu de naissance, à un tribunal de première instance du même pays, aux autorités diplomatiques belges sur place et enfin au Ministère belge des Relations Extérieures.

Contrairement à la France et aux Pays-Bas, la Belgique a toujours maintenu la distinction entre entre ses citoyens d’origine métropolitaine et ses sujets indigènes de statut colonial au Congo (voir supra). Le Ruanda-Urundi était un territoire administré par la Belgique sous mandat de la SDN, puis sous tutelle de l’ONU, dont les habitants possédaient donc des nationalités distinctes. Les Congolais, Rwandais et Burundais ne bénéficient pas de mesures spécifiques pour acquérir la nationalité belge. Seuls les rares "Belges de statut congolais" qui avaient résidé en métropole pendant au moins trois ans avant l'indépendance pouvaient opter pour la nationalité belge, suivant la même procédure que les étrangers nés en Belgique. Cette possibilité d'acquérir la nationalité belge de plein droit était ouverte endéans les deux ans de l'entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 1961 ou, pour les mineurs, "avant qu'ils aient accompli leur vingt-troisième année" (Closset 1970: 48).

La législation zaïroise prévoyait la perte de la nationalité zaïroise en cas d’acquisition d’une autre nationalité: "La nationalité zaïroise est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec une autre nationalité." (art. 8 de l'" Acte Constitutionnel de la Transition"). Cela n'a pas empêché plusieurs milliers de Zaïrois d'acquérir la nationalité belge dans les années 1980-90.

Les polémiques sur la nationalité des politiciens dans plusieurs pays africains (Côte d'Ivoire et Zambie notamment) existent également au Congo-Zaïre. Sans parler du problème spécifique des Banyamulenge et d'autres Tutsis congolais dont la nationalité congolaise est contestée par certains, plusieurs hauts responsables tant du régime de Kabila que des mouvements d'opposition ont été accusés par leurs détracteurs d'être soit des ressortissants de pays voisins soit de pays européens ou américains où ils avaient trouvé asile.

Ce genre de problème s'est posé en Haïti en avril 1998 à propos de la nomination de l'économiste Hervé Denis comme premier ministre, quand certains députés ont affirmé qu'il avait voyagé avec un passeport belge, alors que la constitution haïtienne de 1987 précise explicitement que " La double nationalité haïtienne et étrangère n'est admise dans aucun cas." (art. 15) et que "La Nationalité haïtienne se perd par: a) La Naturalisation acquise en Pays étranger (...)" (art.13).

Un journaliste du quotidien belge De Morgen (10/4/98) a mené l'enquête auprès des ministères de la Justice, des Affaires Etrangères et de l'Intérieur, sans succès. Selon un porte-parole des Affaires étrangères, "On ne le trouve pas. Il est donc improbable qu'il aie la double nationalité, mais cela n'est pas totalement exclu." En fait, les réfugiés voyagent effectivement avec des documents délivrés par les autorités belges, ce qui pourrait expliquer la confusion.

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