http://www.lalibre.be/article.phtml?id=10&subid=90&art_id=142353

Droit de vote

150000 électeurs potentiels nouveaux

Paul Piret

La Libre Belgique Mis en ligne le 17/11/2003

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Serait-il octroyé, le droit

de vote aux non-Européens n'impliquera pas de bouleversements électoraux.

Les électeurs potentiels ne sont ni légion, ni homogènes.

Préparez sandwichs et sacs de couchage! La commission de l'Intérieur du Sénat reprend ce mardi son ouvrage sur l'octroi du droit de vote communal aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne. A coups d'amendements multiples notamment, on ne peut exclure quelque nouvelle "flibuste" de parlementaires hostiles à ce qui est devenu politiquement la proposition de référence, à savoir le texte Defraigne/Derbaki Sbaï (MR), même si le bureau du VLD a tenu à faire savoir hier qu'il "déplorait" les écarts de son sénateur Jean-Marie Dedecker, spécialiste ès-Thaïlande...

Dans tous les cas, à l'attention de ceux qui agitent le spectre de "l'islamisation" (sic) de nos maisons communales en cas d'octroi du droit, on doit à nouveau ramener le sujet à ses justes proportions arithmétiques.

De 216216 à 154094

Actuellement, sur une population de 850077 étrangers en Belgique, on en compte 216216 de 18 ans et plus qui ne sont pas membres de l'Union européenne à Quinze (chiffres INS au 1er janvier 2003). Par nationalités, les plus nombreux sont Marocains (67098) et Turcs (34717), puis Congolais (10104), Américains (8303) et Polonais (8297). Une dizaine de nationalités se partagent ensuite quelque 40000 unités. Bien que largement en tête, les contingents marocain et turc ont relativement diminué en quelques années, à la suite de mouvements de naturalisation.

Ce chiffre est très brut. Il doit être affiné, puis minimisé. D'abord, pour que la statistique soit significative, elle devrait prendre en compte l'état de la population majeure en octobre 2006 (date de la prochaine élection communale), dans l'Union européenne telle qu'alors élargie, en incorporant l'imposition d'une durée de résidence. On ne travaille plus ici sur un recensement certain, mais sur une évolution probable. Une projection existe, basée sur une durée de 5 ans de résidence (la plus probable). Circulant (encore officieusement) au Sénat (sur base de chiffres INS de 2001), elle table sur 154094 électeurs potentiels. Soit 78799 hommes et 75295 femmes. Soit 64106 citoyens à Bruxelles (région), 56535 en Flandre et 33453 en Wallonie.

Par commune, le plus gros chiffre - ce n'est pas indifférent - est localisé à Anvers, avec 17566 électeurs potentiels nouveaux; mais c'est sur une population de 452474 habitants au 1er janvier 2003. Suivent, proportionnellement plus importants, quoiqu'à des degrés variables, 11384 étrangers non-Européens majeurs projetés en 2006 à Bruxelles-ville (sur 139501 habitants aujourd'hui); 11230 à Schaerbeek (sur 109138); 7758 à Molenbeek (sur 76177); 5939 à Anderlecht (sur 91759); 3124 à Saint-Josse (sur 23070)... A titre de comparaison, dans les plus grosses villes wallonnes, ces étrangers non-Européens de plus de 18 ans en 2006 ne dépasseraient pas 4792 unités à Charleroi, 6284 unités à Liège, 1365 à Namur et 1634 à Mons.

De 154094 à... (bien?) moins

Un second filtre s'impose. Lesdits 150000 et quelque électeurs nouveaux ainsi projetés ne sont que potentiels. Seule une proportion d'entre eux, évidemment imprévisible, passera à l'acte. En effet, sauf grosse surprise, on calquera ici sur les non-Européens les modalités valant depuis 2000 pour les Européens: le candidat électeur doit d'abord s'inscrire comme électeur. C'est une manière de combiner les dispositions européennes de vote facultatif (on n'est pas obligé de s'inscrire) et belges de vote obligatoire (on doit voter une fois qu'on s'est inscrit). Le système est critiqué (CDH et Ecolo proposent de renverser la présomption: ne voteraient pas, seulement ceux qui s'y refusent explicitement), mais sa révision paraît d'autant plus improbable que les partisans de l'octroi se sont pragmatiquement alignés sur la proposition MR qui prévoit de toute façon une démarche préalable (c'est l'engagement par le candidat électeur à respecter la Constitution, les lois belges et la Convention européenne des droits de l'homme).

Bref, ils ne voteront pas tous. En octobre 2000, au premier test pour les Européens, les électeurs inscrits n'avaient pas dépassé les 17 pc des intéressés théoriques (88000 sur quasi 500000). Le même pourcentage appliqué aux non-Européens (alors qu'on pourrait s'attendre à moins) donnerait 26180 nouveaux électeurs (17pc de 154000). Pas plus.

 

En conclusion? La population impliquée, le cas échéant, dans le processus de vote serait d'une part trop éparpillée entre nationalités pour imaginer un comportement-type de ce nouvel électorat, et d'autre part trop fragmentée géographiquement pour peser sur les rapports de force dans les conseils communaux - exception faite, relative, de quelques communes bruxelloises. La portée politique et symbolique, c'est une tout autre histoire...


Le Soir 18/11/2003 | 06 h 00

Vote des étrangers - Nouvelle nuit blanche au Sénat ?

MARTINE VANDEMEULEBROUCKE

La commission de l'Intérieur du Sénat arrivera- t-elle ce mardi à voter la proposition de loi Mahoux relative au droit de vote des étrangers ? Jeudi dernier, le VLD, le CD&V et le Vlaams Blok ont multiplié les manœuvres de retardement en monopolisant notamment la tribune du sénat pendant des heures. Les membres de la commission y ont passé la nuit sans aboutir au résultat espéré. Rebelote aujourd'hui ?

Le chef de groupe VLD au Sénat, Hugo Coveliers, annonce la couleur : Les partisans du droit de vote auront beaucoup de peine à le faire voter avant Noël. Coveliers n'annonce qu'une dizaine d'amendements mais les libéraux flamands les défendront longuement.

Le MR, nous dit-il, veut introduire un amendement relatif à une déclaration préalable de respect de la Constitution. Nous déposerons un amendement à cet amendement pour faire vérifier cela. Les amendements porteront aussi sur la connaissance de la langue et l'exigence de réciprocité avec le pays d'origine des étrangers. Et quand le texte sera voté en commission, il faudra encore que le Conseil d'Etat se prononce avant que la proposition ne passe en plénière, rappelle Coveliers. Après ? Le chef de groupe VLD annonce un recours auprès de la Cour d'arbitrage.

Bref, la hache de guerre est loin d'être enterrée. Que peut faire le président de la commission pour mener à bien les débats ? Pas grand-chose, confie Ludwig Vandenhove (SP.A). Je ne peux qu'espérer qu'ils (NDLR : les trois partis flamands) se montreront plus raisonnables que jeudi dernier. A tout moment, je peux, en tant que président, estimer que les discussions ont assez duré mais une telle décision, arbitraire, est susceptible de provoquer des réactions da la part des sénateurs. Les débats de jeudi ont été très négatifs pour l'image de la démocratie et de ses institutions.

Au CD&V, la stratégie de blocage divise le parti. Ce n'est évidemment pas le cas au Vlaams Blok, qui déposera une quarantaine d'amendements et dit être prêts à prolonger les débats pendant plusieurs jours.


Le Soir 19/11/2003 | 06 h 00

COMMENTAIRE

A qui profite le cirque ?

DAVID COPPI

Opérant par manoeuvres de retardement (modérés hier en commission, ils ont annoncé que l'obstruction reprendrait de plus belle en assemblée plénière...), Jean-Marie Dedecker, Hugo Coveliers, Marc Van Peel et les autres sont un peu les Benito Francesconi du droit de vote des étrangers.

Le fait d'entraver ainsi le cours du travail parlementaire n'a d'ailleurs rien d'exceptionnel : la " flibuste " est de bonne guerre, elle permet épisodiquement à l'opposition de ne pas s'avouer vaincue d'avance, face au rouleau compresseur majoritaire, et de monter quand même au front pour y mener des combats certes désespérés mais bien médiatisés en règle générale, ce qui peut rapporter gros électoralement. Soit.

Le problème, dans ce cas, c'est qu'à la manoeuvre, il y a Dedecker, Coveliers, Van Peel, mais aussi... " les autres ". Le Vlaams Blok. Et que non seulement l'extrême droite donne le tempo dans la bataille des vrais-faux amendements, mais elle compte bien faire de tout cela son matériel de propagande. Une équipe de militants filme d'ailleurs les débats parlementaires, ce qui ne laisse plus aucun doute sur la volonté des " blokkers " d'exploiter l'événement dans la campagne pour les élections régionales.

Bien en droit de défendre leur position - le Premier ministre, Guy Verhofstadt, nous a expliqué sa propre hostilité à l'octroi du droit de vote : lire l'entretien en page 17 -, VLD et CD&V risquent de se laisser entraîner dans très une mauvaise pièce. Un vrai cirque. Or, comme l'on sait historiquement, lorsque le cirque est parlementaire, les spectateurs ont souvent tendance à y trouver de bonnes raisons de voter ensuite à l'extrême droite.

 


http://www.lalibre.be/article.phtml?id=10&subid=90&art_id=142505

Droit de vote des étrangers

Premier pas fait pour le droit de vote

P.P

La Libre Belgique Mis en ligne le 18/11/2003

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La proposition d'élargissement du droit de vote local a passé le cap de la commission sénatoriale.

L'affaire est loin d'être bouclée pour autant.

Le débat (?) général sur l'octroi du droit de vote local à tous les étrangers ayant été clôturé ? à l'aube de vendredi dernier, il restait à la commission de l'Intérieur du Sénat de mener discussion et votes sur les articles du dispositif projeté (à savoir la proposition PS, déposée la première, telle qu'amendée par le texte MR devenu le commun dénominateur majoritaire).

Dès la matinée, mardi, un premier pas essentiel était acquis avec l'approbation de l'article 2. Clivage attendu. Soit 10 pour: PS, MR, SP.A-Spirit, CDH. 7 contre: VLD, CD&V, Vlaams Blok. (Ecolo et le FN n'ont pas le droit de vote en commission).

C'est cet article 2 qui porte l'élargissement du droit de vote, en application de l'article 8 révisé de la Constitution. Ses partisans s'étant pragmatiquement rangés sur la proposition la plus strictement balisée, il s'agit donc, pour les non-ressortissants de l'Union européenne (et à valoir dès les élections communales de 2006) :

- du seul droit de vote et non d'éligibilité (malgré l'opposition CDH et Ecolo);

- du droit de vote aux élections communales et non provinciales (la cause était entendue dès l'avis de veto, pour les secondes, du Conseil d'Etat);

- d'établir sa résidence principale en Belgique, de manière ininterrompue, depuis au moins 5 ans (c'était le délai le plus communément proposé);

- de s'engager par déclaration à respecter la Constitution, les lois du peuple belge et la Convention européenne des droits de l'homme (condition sur laquelle les libéraux, pour des raisons internes, ne peuvent manifestement pas transiger).

Emballé

Pour le reste, sobre le matin, la séance s'est passablement échauffée tout l'après-midi, des ébauches d'échanges constructifs alternant avec des passes d'armes - genre: "Hypocrites!" ; "Taisez-vous!" - relevant moins des arguments que des slogans (parfois de part et d'autre...). Ensuite le rythme parlementaire, dont l'incertitude est toujours sportivement glorieuse, s'emballait en soirée. Peu après 21h, l'ensemble de la proposition était adopté, selon le clivage 10/7 précité. Avant la deuxième session à la Chambre, elle doit désormais passer le cap de la séance plénière, où il lui faudra slalomer entre de nouvelles manoeuvres plus ou moins bien inspirées, d'envoi (probable) au Conseil d'Etat en rafale (assurée) d'amendements dont des dizaines sont bidon.


http://www.dhnet.be/dhinfos/article.phtml?id=88512

Droit de vote aux étrangers: le Sénat dit oui! (Dernière Heure 18/11/2003)

Après bien des discussions, cette proposition de loi ira ensuite au Parlement

BRUXELLES La commission de l'Intérieur du Sénat a approuvé mardi soir la proposition de loi qui vise à octroyer le droit de vote aux étrangers. La proposition a été votée par dix voix pour (PS, MR, sp.a-Spirit, cdH) contre sept voix contre (VLD, CD&V, Vlaams Blok).

La proposition de loi amendée et adoptée mardi en commission prévoit d'octroyer le droit de vote aux ressortissants étrangers non européens. Ceux-ci devront être établis depuis 5 ans au moins sur le territoire de la Belgique et s'inscrire sur une liste d'électeurs. Ils devront en outre signer une déclaration dans laquelle ils disent adhérer aux principes de la démocratie.

Ces ressortissants ne pourront pas voter pour les élections provinciales. A l'échelon communal, ils ne seront pas éligibles. La proposition, s'il est adoptée en bout de parcours parlementaire, rentrera en vigueur dix jours après sa publication au Moniteur. Le MR a finalement retiré son amendement demandant une première application de la loi aux élections communales de 2006. Il a été jugé superfétatoire par les autres formations.

Le VLD a encore tenté de faire reporter le vote en demandant de pouvoir examiner les chiffres sur les naturalisations reçus du ministre de l'Intérieur. Cette demande n'a pas reçu d'écho.

Les réactions
Du côté des partisans, Philippe Moureaux (PS) a souligné "le courage" du sp.a de prendre une position extrêmement claire sur ce dossier. Concernant le texte qu'il a qualifié "d'insuffisant", il a estimé qu'il s'agissait "d'un signal à l'ensemble des concitoyens" qui doit permettre aux étrangers d'avoir leur mot à dire dans les quartiers.

Même son de cloche chez Michel Guilbert (Ecolo) qui a parlé de "premier pas important" mais insuffisant. Le sénateur écologiste a indiqué qu'il ne s'agissait pas d'un dossier communautaire mais plutôt "d'un clivage entre les partis du repli sur soi et les partis d'ouverture".

Fatma Pehlivan (sp.a) a déploré le ton des débats. Elle a ajouté à l'égard des opposants au texte que ce n'était pas parce qu'un pays, d'où proviennent les étrangers qui pourront voter en Belgique, n'octroie pas de telles prérogatives qu'il faut l'imiter.
Myriam Van Leerberghe, chef de groupe des socialistes flamands, répondu aux arguments des défenseurs de la naturalisation que "devenir Belge, c'est sur papier, ce n'est pas cela qui va résoudre les problèmes".

Christian Brotcorne (cdH) a évoqué "les ébauches de débats et les nombreuses caricatures" entendues ces dernières heures. Il a ajouté que le vote ne constituait pas "une révolution". "C'est un élément parmi d'autres dans une politique d'intégration", a-t-il encore dit.

Christine Defraigne, chef de groupe MR, a parlé de "pas important", ajoutant que ce ne serait "pas le dernier". La sénatrice s'est réjouie du texte adopté, "l'exacte concrétisation" de ce que désirait le MR.
Dans le camp des opposants, le VLD s'en est pris à la Wallonie, aux socialistes et à la presse. Pour le chef de groupe Hugo Coveliers, il s'agit "d'une mauvaise loi" imposée par une minorité francophone à une majorité flamande. Jannine Leduc, sénatrice VLD, s'est sentie opprimée par les volontés des partisans dignes "d'un régime communiste". Elle s'en est aussi prise à la presse en indiquant qu'elle n'avait pas à dicter au VLD ce que pense le citoyen.

Même critiques à l'égard de la presse de l'ex-entraineur de judo, Jean-Marie Dedecker (VLD), qui a par ailleurs parlé "du 500e signal aux autres communautés" qui constitue "une solution belgicaine". Avant d'ajouter, applaudi par les siens, que "la Flandre était vendue, pour la énième fois dans ce pays, avec la collaboration du sp.a".

Enfin, sur les bancs du CD&V, Mia De Schamphelaere a regretté la teneur du débat et le résultat. "Personne n'est gagnant", a-t-elle conclu en rejetant la responsabilité sur le VLD


Le Soir 19/11/2003 | 06 h 00

Vote des étrangers - La proposition de loi a été adoptée hier à 21 heures en commission de l'Intérieur

Premier feu vert au Sénat

Nouveau marathon, hier, en commission du Sénat. Malgré les manoeuvres du Blok, le vote est intervenu en soirée. A la grande fureur du VLD...

RÉCIT

MARTINE VANDEMEULEBROUCKE

La commission de l'Intérieur du Sénat a approuvé hier soir la proposition de loi visant à octroyer le droit de vote aux étrangers non européens. Ceux-ci devront être établis depuis cinq ans au moins sur le territoire belge et s'inscrire sur une liste d'électeurs. Ils devront aussi signer une déclaration dans laquelle ils disent adhérer aux principes de la démocratie. Ce vote est intervenu au terme d'une nouvelle longue séance.

Dix heures. Les sénateurs de la commission s'installent. Les huissiers distribuent des paquets de documents. Ce sont tous les amendements déposés à la proposition de loi Mahoux (PS). Il y en aura 173 au total. Pour le gag, on signalera que le Front national en a déposé 100. Le premier vise à faire entrer la loi en vigueur le... 31 décembre 3000. Les 99 autres avancent chaque fois d'un an la date butoir. Le tout gaspille 45 feuilles.

Le président de la commission, Ludwig Vandenhove (SP.A), propose de commencer le débat. L'article 1 de la proposition est purement formel. Il faut une demi-heure pour le voter.

11 heures. Le Blok va parler quasi sans discontinuer pendant une heure trente. Au programme notamment : la francisation de Bruxelles, la suppression des facilités et un long exposé sur l'inégalité. Les huissiers continuent à distribuer de nouveaux amendements, et du café.

13 heures. Le VLD a introduit des amendements à l'article 2, celui qui consacre réellement le droit de vote aux communales. Il prévoit une condition supplémentaire : la connaissance de la langue de la région, à faire vérifier par une commission ad hoc. Le CD&V reprend son argumentation sur la naturalisation comme alternative au droit de vote. Puis vient l'amendement du MR, résumant à lui seul la proposition libérale puisqu'il lie l'octroi du droit de vote à la déclaration préalable de respect de la Constitution. Christian Brotcorne (CDH) s'y oppose. Isabelle Durant (Ecolo) dépose deux sous-amendements : l'un propose de joindre à la lettre de convocation aux élections la petite phrase tant défendue par les libéraux sur le respect de la Constitution. Comme cela, dit-elle, on n'humiliera pas les nouveaux électeurs et on mettra tout le monde sur le même pied. Elle propose aussi de prévoir le droit d'éligibilité pour les élections de 2012. Mais le MR n'en veut pas et le PS suit. Seul le CDH va voter pour les sous-amendements Ecolo.

Philippe Moureaux (PS) regrette l'absence de réel débat à cause de quelques pignoufs qui lisent un texte qui leur a été préparé. Cela n'émeut guère le Blok. L'amendement MR et l'article 2 sont finalement votés. Socialistes, libéraux francophones et CDH d'un côté ; VLD, CD&V et Blok de l'autre.

15 heures. Le Vlaams Blok se fâche. Il se sent un peu seul dans ses manoeuvres d'obstruction. Le VLD devient rouge. Il était bien plus agressif jeudi dernier.

Les sénateurs VLD enchaînent aussitôt et interpellent les socialistes flamands : Pourquoi donc votez-vous cette proposition alors que toute la Flandre s'y oppose ? C'est Fatma Pehlivan (d'origine turque) qui répond en évoquant son arrivée en Belgique : Mes parents ont reçu un accueil chaleureux de leurs voisins flamands. C'est un signal important pour l'intégration. Le droit de vote, c'est aussi un signal et rien que cela. On n'a jamais dit que cela résoudrait tous les problèmes.

Isabelle Durant réagit en s'indignant de la pression mise sur le SP.A. Pourquoi en faites-vous un problème communautaire ? Parce que c'en est un !, s'exclame Dedecker (VLD). Le ton monte. Chacun accuse l'autre de ne pas écouter. L'article 3 est finalement voté, à 16 h 15.

17 heures. Les " blokkers " se relaient pour lire des textes interminables, sur le droit de vote en Australie, au Zwaziland... La majorité des sénateurs sont sortis et discutent dans le couloir. En début de soirée, on vote les articles 4 et 5. Le débat reprend et les sénateurs mettent le turbo. L'ensemble de la proposition est adopté à 21 h : PS, SP.A, MR et CDH votent pour ; le Blok, le VLD et le CD&V contre.

Du côté du PS et d'Ecolo, on se félicite de ce premier pas, important mais insuffisant. Quant aux libéraux flamands, ils s'en prennent à la Wallonie et aux socialistes : Hugo Coveliers, le chef de groupe, stigmatise une mauvaise loi imposée par une minorité francophone à une majorité flamande ; Jannine Leduc se sent opprimée par les volontés de partisans dignes d'un régime communiste ; Jean-Marie Dedecker, applaudi par les siens, regrette que la Flandre soit vendue, pour la énième fois dans ce pays, avec la collaboration du SP.A.

 

Sur les bancs du CD&V, Mia De Schampelaere déplore la teneur du débat et son résultat : Personne n'est gagnant, conclut-elle, en rejetant la responsabilité sur le VLD.·


Le Soir 19/11/2003 | 06 h 00

Verhofstadt, De Croo... : tous ont " flibusté "

MICHELLE LAMENSCH

La flibuste, c'est la grève du zèle du député... C'est le président de la Chambre, Herman De Croo (VLD), qui parle et qui avoue l'avoir pratiquée à plusieurs reprises... Comme le policier peut contrôler chaque voiture, députés et sénateurs peuvent user du règlement de leur assemblée jusqu'à la corde.

En séance plénière, les temps de parole sont limités, selon les types d'intervention, sauf lors des discussions budgétaires et des déclarations gouvernementales. Un président d'assemblée averti négocie alors les interventions avec les chefs de groupe et rappelle les orateurs à l'ordre s'ils s'écartent du sujet.

En séance plénière toujours, le président peut aussi estimer que le débat est suffisamment éclairant et mettre fin à une intervention en recourant à un vote.

Je ne l'ai jamais fait et je ne le ferai jamais, explique M. De Croo, parce qu'il faudrait le faire pour chaque sujet et cela créerait un climat détestable : l'opposition d'aujourd'hui peut se transformer, demain, en majorité et renvoyer la pareille...

En commission, par contre, sauf pour les interpellations et questions, le temps de parole n'est pas limité. Ici aussi, le président peut déclarer, après vote, les commissaires suffisamment éclairés.

La flibuste s'illustre également par des dépôts intempestifs d'amendements. Recevables, ils doivent être traduits, distribués, discutés et soumis au vote. Lors d'une loi programme, dans les années 90, Rik Daems (VLD) a déposé 2.800 amendements. Il est vite tombé de fatigue, mais ses troupes ont tenu deux jours en plénière... Il y avait un demi-mètre de papier sur chaque pupitre !, s'esclaffe De Croo.

Mais la plupart des partis ont, à leur tour, pratiqué la flibuste, assure le président, qui ajoute : En 1975, André Cools (PS) l'a pratiquée, contre la fusion des communes. Les socialistes flamands aussi, plus tard, contre la création de VTM (chaîne commerciale flamande, NDLR).

De Croo, Verhofstadt (l'intéressé le confirme page 17), Dewael et Neyts ont " flibusté " durant plus de trois semaines, jour et nuit en commission, contre la loi de financement des Communautés et Régions, en 1988. Détail dont se souvient Herman De Croo : A cette époque, nous allions mettre André Bertouille au lit, à 21 h, à l'hôtel Astoria. Vers 3 h, il revenait, rasé, douché, coiffé pour reprendre le flambeau... Mon propre record ? J'ai tenu 6 heures et 18 minutes, sans interruption, en commission de la Chambre. Les socialistes et les chrétiens voulaient instaurer les pouvoirs spéciaux. Je disais au ministre : " Sont contre le projet... " et je commençais la lecture de l'annuaire téléphonique de Bruxelles...

 

Mais ce n'est évidemment pas la plus belle page de notre histoire parlementaire, reconnaît le président de la Chambre.·


Le 19/11/2003 | 06 h 50

 

Portrait de Hugo Coveliers

Flibustier la semaine dernière, Hugo Coveliers s'est voulu plus classique hier dans son opposition au droit de vote des étrangers au Sénat.

CHRISTIAN LAPORTE

Dans le monde politique nordiste, on le surnomme " Hagard le terrible ". Ses coups de gueule, au Parlement et sur les plateaux de télé font plutôt penser à Haddock. Un capitaine hargneux qui n'hésita pas à répliquer vertement à Phara de Aguirre, intervieweuse redoutée de " Terzake " qu'avec ses petits copains, elle joue trop la carte du SP.A... Mais le surnom de Janus lui collerait mieux à la peau. Car comme le dieu romain des portes, Hugo Coveliers a un double visage : au sein du VLD, il ne cesse de clamer sa rage de ne pas avoir reçu un maroquin et titille de manière récurrente l'aréopage présidentiel sur l'air de " retenez-moi ou je pars... " ; en dehors cependant, il incarne la ligne bleu sombre qui arrange bien De Gucht.

En surfant plus qu'à son tour sur les sentiments de peur et d'insécurité, " le Cov " peut non seulement aller pêcher dans les eaux troubles du Blok mais aussi tailler des croupières à des " plus bleus que bleu ", comme l'Anversois Ward Beysen ou le Bruxellois Leo Goovaerts, aujourd'hui excommuniés du VLD.

Tout en s'en défendant, bien entendu, lorsqu'il s'agit de rendosser la tunique plus humaniste des libéraux flamands. Une évidence : cet avocat qui se double d'un criminologue n'a jamais eu peur de voguer sur les eaux populistes.

Dans une vie antérieure, à la Volksunie, ce proche de Hugo Schiltz ne faisait pas dans la dentelle. A la commission parlementaire sur les " tueries du Brabant ", il souffla même sur la braise, rallumant avec vigueur les rumeurs sur les ballets roses et autres tentatives de déstabilisation extrémistes. Coveliers n'aimait pas plus la gendarmerie que la magistrature et il ne se privait pas de le dire. Une manière de mettre à mal encore un peu plus le fragile équilibre de l'Etat belge. Dans l'espoir d'en arriver à un Etat flamand à part entière ?

Certes, depuis qu'il a rejoint le VLD, on ne l'a plus guère vu sur les berges de l'Yser au pied de la Tour de Dixmude, mais l'homme n'en a pas moins rejoint, il y a moins de cinq ans, les signataires du Manifeste de l'Overlegcentrum van Vlaamse verenigingen qui plaida pour un Etat flamand à part entière dans l'Union européenne. En attendant cette hypothétique Flandre indépendante, l'homme espérait quand même pouvoir entrer dans les conseils du Roi. En 1999, il croyait même que son heure avait sonné. Bigre, comme Anversois, il était convaincu qu'on ne pouvait se passer de ses services et il se voyait déjà à l'Intérieur ou à la Justice. Ce ne fut pas l'avis de la Melsensstraat ; il dut se contenter de la présidence du groupe VLD à la Chambre.

Un choix machiavélique car, tout en soutenant Verhofstadt Ier, Coveliers développa souvent des idées plus personnelles qui ne pouvaient que choquer l'aile gauche du gouvernement. Ainsi lorsqu'il suggéra de troquer la régularisation des demandeurs d'asile contre la promesse ferme de renvoyer tous les mois 3.000 illégaux. Ou lorsqu'il défendit bec et ongles un renforcement des sanctions contre les jeunes délinquants, une vision applaudie au nord mais pleinement rejetée au sud du pays...

Adepte de la tolérance zéro dans la lutte contre la criminalité, Hugo Coveliers fut avancé, un moment, comme bourgmestre d'Anvers à la place de Léona Detiège, mais le VLD ne parvint pas à accorder ses violons. Une autre désillusion l'attendait : au lieu de mener la liste de la Chambre de la province d'Anvers, le 18 mai dernier, il fut renvoyé à la 3e place au Sénat. Il espérait être enfin récompensé par un mandat ministériel... mais, cette fois, il fut victime du jeunisme libéral. Résultat : au Sénat, il ronge son frein, mais dans les gazettes, il déplore d'être traité comme un Playmobil par son parti. En attendant, Janus l'Anversois marque des points. A droite.·

1947.

Naissance à Schelle.

1985.

Est élu pour la Volksunie à la Chambre.

1988.

Secrétaire de la commission parlementaire sur le grand banditisme et le terrorisme.

1986.

Chef de groupe de la VU à la Chambre.

1993.

Passe au VLD.

1995.

Elu au Sénat, il y devient chef de groupe du VLD.

1999.

Réélu à la Chambre, il dirige le groupe VLD de cette assemblée.

2003.

Est élu au Sénat, où il devient, une fois encore, chef de groupe.


Le 18/11/2003 | 06 h 00

Vote des étrangers : dans la rue, la Belgique bigarrée

L'octroi du droit de vote aux étrangers non- européens discuté au Sénat. Qu'en pense la population ? De Laeken à Liège, " Le Soir " a pris le pouls de la Belgique francophone. De ce tour d'horizon - forcément empirique - jaillissent des propos contrastés.

REPORTAGE

HUGUES DORZÉE

Place Albert Ier, un jour de marché, à Charleroi. Vous connaissez la dernière ? Il paraît que le Sporting a trouvé un nouveau sponsor : le Nasdaq ! Comme lui, il n'arrête pas de baisser !… Entre deux échoppes garnies, l'odeur de poularde et une rengaine hip-hop, l'humour et l'ironie ont droit de cité.

Sur le marché, il fait frisquet. Les arbres fruitiers sont à bas prix. Et André, 71 ans, retraité, passe d'un pas pressé. Le droit de vote pour les non-Européens : C'est quoi, ce débat de fous ? A quelques mois des élections, ils jouent avec le feu. Le Front national est au balcon. Je ne suis pas sûr que les hommes politiques vont servir la démocratie. Pour moi, c'est clair : si les étrangers veulent voter, qu'ils deviennent belges. Danièle, 51 ans, Slovaque d'origine, opine du chef : A l'époque, dit-elle fièrement, mes parents prirent la nationalité, ils se sont intégrés pleinement, ils ont trimé. Pas question de leur donner ce droit d'office !

Les cabas passent, les opinions aussi : Dans cette société du chacun pour soi et Dieu pour tous, s'exclament Vital et Antoinette, un couple de septuagénaires, il faut tendre la main. Qu'ils soient Noirs ou Maghrébins, ce sont des citoyens comme les autres. Vital insiste : L'humain ne représente plus rien. On crie aux loups dès qu'on voit un shadow (sic). A ce que je sache, M. Dutroux est quand même un bon Belge !

Entre le DVD de Bourvil en promo, les figues " fraîches de Turquie " et les fromages affinés, une boutiquière aux joues roses s'emballe : Voter, voter, on ne parle plus que de ça à Bruxelles, dans le Parlement. Il faut vivre avec les étrangers pour comprendre. Ce truc ne va rien régler du tout !

Deux étals plus loin, Jenifer, Monique et Anne jabotent joyeusement. L'une est Congolaise d'origine, la deuxième mariée à un Congolais pour le meilleur et la troisième totalement Belge : Voter, ça se mérite, décrète l'une. D'accord pour ceux qui sont là depuis longtemps, avance l'autre.

S'ils parlent bien le français, travaillent et ne font pas le piquet devant le CPAS. Il y a assez de misère comme ça, conclut la troisième.

A l'autre bout de la place, Jacques, 78 ans, se dit a priori " favorable ". Bien sûr, tempère cet ex-ingénieur civil, je serais partisan de donner ce petit " plus " démocratique à ceux qui acceptent les règles de la démocratie. Mais, dans ce débat, on ne peut pas trier. Il faut défendre un principe, ce qui n'est jamais simple. Luc, 60 ans, agent immobilier, s'est déjà fait une religion : Je suis exaspéré de voir la gauche capitaliser sur le fait qu'on est dans un pays d'assistés, convaincue que ces nouveaux électeurs vont voter rouge. Et si elle se trompait…

Au rayon charcuteries italiennes, Pierre et Michel font la queue. L'un est peintre, l'autre musicien. Deux artistes, une seule vision du monde. Mon père s'est fait crever pendant 30 ans dans la mine. Ils ont dû quémander le droit de vote comme des moins que rien. L'Histoire se répète inlassablement… A quarante balais, ce sont deux enfants d'immigrés… désabusés : Réveillez-vous ! Il y a un malaise. L'immigration a été gérée à la petite semaine. Belgique, terre d'accueil, oui, mais à quel prix ? Ils ne sont pas tous dans le coup. L'islamisme pur et dur fait son petit chemin. Ouvrons les yeux !

Rancœurs jaillissantes, espoirs déçus : Le statut d'artiste, c'est la galère, clame l'un.

Qu'ils s'occupent d'abord de nos problèmes concrets. Moi, j'ai mon diplôme, 25 ans d'expérience et je ne peux pas avoir mon registre de commerce, soupire son pote. D'autres travaillent en black, on ferme les yeux, vous trouvez ça normal ? Le maraîcher voisin est dubitatif mais ne dit mot. Mieux vaut reparler du Nasdaq et du Sporting. C'est plus prudent

Liège-Guillemins, à l'heure de pointe. Entre deux courses de taxi, Mohamed, Marocain de souche, Belge d'adoption défend bec et ongles le droit de vote : A entendre certains, fulmine le taximan, les étrangers seraient bons pour payer leurs taxes, faire des enfants, alimenter la Sécu, mais n'auraient pas leur mot à dire. En voilà une absurdité ! La naturalisation, c'est un choix personnel, quasi intime. Moi, j'assume, d'autres pas. Il est légitime d'avoir envie de garder sa nationalité. Le collègue Ismaïl, Turc d'origine, confirme : Vous vivez depuis belle lurette dans un quartier, qu'on prenne en compte votre avis !

Au pied des capots, cependant, les taximans préviennent : Il y a d'autres priorités autour de l'immigration. Et ceux-ci de passer en revue les écoles inadaptées, les coups de boutoir de ces islamistes qui prétendent remettre les jeunes sur le bon chemin, les ghettos urbains, la ségrégation au quotidien… Un exemple concret, conclut Ismaïl. Mon fils, né ici, bon Belge et footballeur reconnu, se retrouve devant la justice. Pour le juge, il devient le Turc de service. Dans la presse locale, même bazar. La naturalisation, c'est la théorie. Dans les faits, vous gardez la tête et le nom. Les gens ne vous voient jamais dans la peau d'un Belge. Alors le droit de vote, vous pensez…

Place du XX Août, l'université. A l'heure du goûter, la " cafét' " de philo. Des students affairés ou flegmatiques. Ce soir, " Bal des vampires " ou baptême médecine… Les débats musclés au Sénat ? Les querelles idéologiques ? Le VLD isolé ? Le modèle hollandais ? Beaucoup sont au fait de l'actualité. Tous s'interrogent. Certains, comme Raphaël, 1ère candi romanes, y voient très clair : C'est une question éthique. Tu vis ici depuis plus de cinq ans, tu dois pouvoir t'impliquer politiquement. C'est le seul moyen de responsabiliser les gens. Un bémol cependant : Rendre le vote facultatif pour tous. Il faut lever la contrainte. Combien vont voter avec des pieds de plomb ?

Thibault, étudiant en 1ère licence, enchaîne : Les immigrés participent déjà pleinement à la vie communale. Ils sont militants, responsables d'ASBL, éducateurs… Le bulletin de vote, c'est un " plus " non négligeable. Mais gare à l'effet boomerang, analyse un pote : Les fachos vont agiter l'épouvantail. J'ai un copain qui avait voté FN/CDH aux dernières élections. Il m'a prévenu : si la loi passe, c'est tout pour le FN !

Deux tables plus loin, Katia, 19 ans, Espagnole d'origine, aspirante romaniste : J'ai des parents commerçants, installés ici depuis les années 70, complètement intégrés, mais sans voix politique jusqu'à il y a peu. C'est aberrant. Sa copine Stéphanie souscrit : Cinq ans de résidence, ça me paraît le minimum. Le temps d'avoir un travail fixe, de s'impliquer un peu dans la ville… Julien conclut : Il faut pouvoir admettre que, pour des raisons personnelles, certains n'ont pas envie d'opter pour la naturalisation.

Rive gauche, le Jardin botanique. Un parc propret dans un quartier chic. Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, Marie-Josée balade son chiot : La Belgique est un pays ouvert ? Qu'elle accepte les étrangers jusqu'au bout. A ses côtés, Micheline, accrochée à sa laisse : S'ils votent, qu'ils puissent être candidats, ça va de soi.

Ce n'est pas l'avis de Régis, assis au pied d'un marronnier : Tout pour les immigrés, rien pour les Belges, j'en ai marre ! Evelyne, sa compagne, bougonne à son tour : Moi, je ne vote pas. Ou plutôt si, j'y vais avec le gamin. Il dessine sur le bulletin… Ce truc, j'm'en fous complètement.

Plus bas dans le parc, Michel et Christiane. Deux Liégeois exilés dans le Brabant wallon. Elle : De qui parle-t-on finalement dans ce débat ? Leur a-t-on demandé leur avis ? Lui : Je ne suis pas sûr qu'on mesure bien les conséquences d'une telle loi. Elle de nouveau : Nous ne vivons pas avec les étrangers, nous ne les connaissons pas. Il n'est pas aisé d'avoir un avis. Et Michel de conclure : Il y a beaucoup d'opportunisme politique là derrière, trop d'improvisation à mon goût. Dans l'étang voisin, canes et canards sont à cent lieues de la cause. Le soleil pâle réchauffe leurs plumes engourdies. Le couple passe, les colverts aussi…

Place Willems, dans Laeken (Bruxelles) la métissée. Je vois déjà l'affaire d'ici : un gouvernement marocain, des lois sur mesure, le voile pour toutes ! Au comptoir du bistrot, entre pils ambrées et football passion, le sujet est sur toutes les lèvres. Normal, rigole Edouard, machiniste à la retraite, ici c'est Marrakech ! Ça nous concerne un peu quelque part, non ?

Leur donner le droit de vote, enchaîne Pierre, le patron, ça se discute : à la fois ils se sentiront plus concernés, à la fois ils vont se croire un peu plus encore les maîtres. Mais, à l'ombre du zinc, tous s'accordent sur une chose : le sujet est… " carrément délicat ". Que les politiques viennent ici vivre 48 heures incognito, ils comprendront, propose Marie-Jeanne. Relents racistes ? Propos poujadistes ? Ce n'est pas la question, s'envole un client. Ici, c'est un " stamcafé " (café d'habitués, NDLR), tout le monde est le bienvenu. L'un évoque Mohamed qui boit bien son verre, critique les Arabes et ne fait pas le ramadan. L'autre vante les exploits de Michel, un Juif malabar, qui s'apprête à créer un parti politique baptisé " La Belgique aux Belges ".

On est en démocratie, on a le droit de dire ce qui ne va pas sans être pour autant taxé de racisme ! On a laissé aller trop loin les choses ! soutient l'autre. C'est vrai quoi, insiste Marie-Jeanne, mon gamin retire sa casquette pour entrer en classe. Quand je vais au Maroc, j'enlève mes chaussures là où la décence me l'impose. Et elles, leur voile ?

Les jeunes en quête d'argent facile, l'insécurité galopante, l'immobilier aux mains des allochtones, la réalité de Laeken est aussi là. Ce n'est pas pire qu'ailleurs, mais le droit de vote ne va malheureusement pas changer l'ordinaire, soupire Edouard.

Rue Marie-Christine, toujours à Laeken. Une artère commerçante entre boutiques ethniques et devantures colorées. Titi (83 ans), Emilie (71) et Julie (82) font un brin de causette : A Bruxelles, on a le cœur large !, clame l'une. J'ai un voisin marocain raconte l'autre. Il conduit le car quand on va en excursion avec les pensionnés, il nettoie mon trottoir quand il fait sa voiture. Titi acquiesce ; Moi, j'en connais un qui habite rue de la Royauté et il est le seul à avoir la photo du roi Baudouin à sa fenêtre, si c'est pas être intégré ça ! Morale de la causette : Qu'ils puissent voter. (…) Il ne faut pas voir des bandits partout. (…) On a tant à apprendre des autres cultures, et c'est une vieille Laekenoise qui vous le dit, s'esclaffe Emilie.

Autre écho, venu du terrain cette fois. Giorgios, médiateur social : Un logement, un boulot, un avenir, voilà ce qu'ils demandent avant tout. Un autre éducateur : Les plus anciens qui ne savent ni lire ni écrire, la politique, ça leur passe par-dessus la tête. Un collègue, plus sévère encore : Ce débat sent à plein nez la récupération, l'électoralisme. La gauche croit qu'elle va rafler la mise. Les autres font de la pub anti-immigrés. Giorgios conclut : Peut-être que l'avancée est symbolique mais je pense qu'il faudrait d'abord se battre pour résoudre les délits de sale gueule, pour abolir l'enseignement à deux niveaux, pour faire en sorte que " Mohamed " ne soit pas systématiquement sur la liste rouge des agences d'intérim…

Un night-shop pakistanais plus loin, le policier de quartier passe : En service, déclare-t-il sèchement, je n'ai aucun avis à émettre. Bien le bonjour, monsieur ! Un fournisseur de fruits s'engage plus volontiers : Ils doivent choisir. On ne peut avoir le beurre, l'argent du beurre, etc. Pour voter, il faut une carte d'identité. Je n'aime pas l'idée d'électeurs touristes.

A l'arrêt de tram, Luigi, 62 ans : J'ai attendu 50 ans avant d'être autre chose qu'un numéro. Maintenant, je ne sais pas si ça change quelque chose de voter, mais j'y ai droit ! Pour Calogero, 64 ans, c'est délirant d'avoir séparé les Européens des autres. Comme s'il y avait une différence ! Un autre " amico " s'emporte : C'est quoi cette histoire de vote national ? Nos enfants, ils seront tous Européens…

L'odeur de pain frais, une boulangerie chaleureuse. Avec Salem, réfugié algérien, analyste-programmeur, père de famille et patron à la fois : Ils n'ont que le mot naturalisation à la bouche, constate ce beau brun. J'ai donc fait la demande. La première fois, on m'a dit que j'étais " mal intégré ". J'ai toujours pas compris. La deuxième fois, on m'a dit que j'étais fort préoccupé par mon pays d'origine. Est-ce un crime ?

A ceux qui prônent la naturalisation de façon paternaliste en échange de leur carte d'électeur, David, 30 ans, Algérien devenu Belge, rétorque : Dans la tête des gens, vous ne serez de toute façon jamais un vrai Belge. Vos racines vous collent à la peau. Plus loin, Patrick, 42 ans, cadre en goguette, pose le problème autrement : Ils ont peur de donner un peu de pouvoir aux " étrangers ". Comme s'ils allaient coloniser le Parlement et faire passer leurs lois " islamistes " ! Parce qu'il ne faut pas se voiler la face : quand on dit étrangers, on pense arabe. Ce discours du VLD m'écœure.

Devant, le château royal. Derrière, deux midinettes voilées. L'une pantalon taille basse, string apparent. L'autre, en noir de la tête aux pieds. Et Titi qui repasse. Et Emilie aussi. Bruxelles a le cœur large, disaient-elles…