Réflexions sur le droit de vote des étrangers en Belgique en cet an 2001
16/01/01
Un correspondant français m'a récemment posé une question:
"est-il juste de dire que le droit de vote des immigrés aux élections locales va prochainement être pratiqué en Belgique ? Que ce "pré-projet" de loi est un consensus au sein de la classe politique Belge."
Voici la réponse que je lui ai envoyée.
Non, il y a consensus du côté francophone (PS, Ecolo, libéraux
du PRL-FDF, sociaux-chrétiens du PSC), sauf à
l'extrême-droite (marginale), mais du côté
néerlandophone la situation est plus complexe, deux partis flamands
de la coalition gouvernementale (les socialistes du SP et les écologistes
d'Agalev) sur trois sont pour, le troisième, qui est le plus important
(les libéraux du VLD) sont contre, et dans l'opposition les
sociaux-chrétiens (CVP) sont divisés, les
nationaux-démocrates de la Volksunie sont également divisés
mais leurs réticences concernent surtout des aspects "communautaires
à la belge" (exigence de garantie de représentation minimale
des Flamands dans les communes bruxelloises avec deux adjoints au maire par
commune), et le Vlaams Blok est contre, bien entendu.
Au total, comme cinq partis de la coalition sur six sont d'accord, plus un
parti d'opposition (PSC) et une partie de deux autres partis d'opposition
(CVP et Volksunie), il y a une "majorité alternative" potentielle
pour changer la loi sur les élections communales, qui ne nécessite
qu'une majorité relative au Parlement. Des propositions de loi ont
été (re)déposées dans ce sens au lendemain des
élections communales d'octobre dernier par les socialistes et les
écologistes, et le premier ministre (VLD) a dit que les autres partis
de la majorité sont libres de chercher une majorité alternative
sur ce thème, cela ne provoquera pas de crise gouvernementale.
Par contre, un point intéressant est l'argumentation en faveur de
ce droit de vote.
Quand il a été décidé que seuls les Européens
UE pourraient voter en octobre 2000, nous avons insisté sur l'injustice
qu'il y avait à créer ainsi deux catégories
d'étrangers, ce d'autant plus que les Européens n'étaient
soumis à aucune condition de durée de résidence. En
clair, l'argument était "un Finlandais qui a débarqué
à Bruxelles trois mois avant les élections (les listes
d'électeurs étaient clôturées le 31 juillet, les
élections avaient lieu le 8 octobre), ne parlant pas un mot de
français ou de néerlandais, pourra voter, et pas un Marocain
ou un Turc arrivé dans les années soixante ou soixante-dix".
Quand le nouveau gouvernement "arc-en-ciel" (bleus libéraux, roses
socialistes et verts écologistes) a été formé
après les législatives de juin 1999, les libéraux flamands
ont mis leur veto sur le droit de vote des étrangers non-UE dans l'accord
de coalition, et de toute façon c'était trop tard pour 2000
parce que l'article 8 de la Constitution, qui avait été
modifié quelques mois plus tôt (à une majorité
des deux-tiers), ne permettait pas l'adoption d'une telle loi avant janvier
2001, donc après les élections d'octobre 2000. A titre
compensatoire, les autres partis de la coalition ont exigé une
réforme radicale du Code de la nationalité, réforme
qui a abouti et est entrée en vigueur le 2 mai 2000. Il paraissait
clair, quand cela a été décidé en juillet 1999,
que la réforme sortirait ses effets pour les élections communales,
mais en fin de compte le Parquet a saboté l'application de la loi
(d'où ma plainte en annulation des élections et pour coalition
de fonctionnaires à l'encontre de magistrats), et seules quelques
centaines de personnes sur au moins six mille cinq cents en région
bruxelloise (qui concentre la majorité des dossiers) ont effectivement
pu devenir belges au 31 juillet.
Maintenant, des milliers de personnes sont devenues belges grâce à
la nouvelle législation, même si c'était trop tard pour
les communales, et des milliers de demandes sont en cours ou en voie d'être
déposées, je n'ai pas de données concernant leur
répartition par nationalité d'origine, mais les
"non-Européens" semblent nettement prédominer, comme c'est
d'ailleurs la tendance depuis quinze ans pour les demandes d'acquisition
de nationalité.
Il suffit en effet d'avoir résidé 7 ans en Belgique et il y
a peu de documents exigés: acte de naissance, éventuellement
délivré par le consulat du pays d'origine, document attestant
la résidence de 7 ans en Belgique, copie conforme de la carte de
séjour et deux photos, plus parfois des "frais de dossiers", quoique
ceux-ci ont dans la plupart des communes été soit supprimés
soit réduits à l'équivalent de dix à vingt-cinq
euros. Il n'y a pas non plus d'enquête sur la connaissance de la langue
par exemple, le seul critère est la résidence.
La tournure du débat a donc radicalement changé: le VLD et
le CVP disent désormais qu'il faut d'abord évaluer l'application
de la nouvelle législation (en néerlandais "snel-Belg-wet",
la loi-Belge-à-grande-vitesse en quelque sorte) et que, de toute
façon, les gens qui veulent voter n'ont qu'à devenir belges
puisque c'est devenu tellement facile, ceux qui choisissent de rester
étrangers ne sont tout simplement pas intéressés par
le droit de vote, ce sont les "idéologues" du droit de vote qui
mènent ce combat sans appui des personnes concernées. Nous
sommes en effet placés devant une situation difficile quand on nous
demande, comme c'était le cas vendredi dernier, de "fournir" pour
une émission d'actualités sur la chaîne publique flamande
des noms d'étrangers non-européens qui ne veulent pas devenir
belges mais voudraient quand même bénéficier du droit
de vote et pourraient être placés sur un plateau de
télévision face au président du VLD...
Autre chose, l'évolution actuelle est inquiétante à
terme, dans la mesure où il est probable que les non-Européens
vont tous devenir belges, sauf ceux qui ont des casiers judiciaires (pas
pour des infractions au Code de la route) ou pour lesquels il y a des objections
de la part de la D.S.T. belge (la "Sûreté de l'Etat"), ou bien
sûr les primo-arrivants par regroupement familial/mariage,
régularisation ou asile politique. Par contre, les Européens
UE se désintéressent totalement de la politique, tant en Belgique
que dans le pays d'origine, les taux de participation tant aux élections
communales belges (90% de non-inscription sur les listes électorales)
qu'aux élections organisées dans les consulats pour des
législatives, présidentielles, référendums, conseils
des communautés de la diaspora montent pour toutes les nationalités
(Français, Italiens, Espagnols, Portugais...) une désaffection
généralisée, avec des nombre de votants infimes par
rapport à l'importance de ces communautés d'après les
statistiques officielles belges (qui sont autrement plus fiables qu'en France,
ici tout le monde est fiché !).
Il va donc subsister dans les prochaines décennies des centaines
de milliers d'étrangers UE, dont tout le monde prétend qu'ils
ne sont plus des étrangers à cause de l'Union Européenne,
mais qui ne peuvent devenir ni adjoints au maire (ça changera
peut-être en 2006) ni maires, et qui ne peuvent ni voter ni être
élus aux élections autres que municipales. Bref, des
sous-citoyens.
Paradoxalement, il y a eu aux communales d'octobre une explosion du nombre
d'élus d'origine maghrébine, moyen-orientale (Turquie, Palestine,
Liban, Iran) et africaine noire, on est passé de près de trente
à probablement près de cent cinquante (dont environ 90 pour
la seule région bruxelloise), et une dizaine ont accédé
à des fonctions d'échevins/adjoints au maire. Dans certaines
communes bruxelloises, la proprtion de ces élus au conseil communal
reflète la composition par nationalités de la population, ce
alors que seuls les Belges issus de ces communautés avaient le droit
de voter. Il y a donc clairement une surreprésentation, due au
système électoral de "vote préférentiel", même
si d'un autre côté le nombre de conseillers communaux est
déterminé par le nombre d'habitants de chaque commune, et non
sur celui d'habitants de nationalité belge...
Il est donc facile d'imaginer l'état d'esprit de certains politiciens
"belges de souche" (équivalent des "Gaulois" de la banlieue
française :-) , même initialement bien disposés à
l'égard du droit de vote, à l'idée qu'en 2006 plusieurs
communes bruxelloises pourraient compter une majorité d'élus
d'origine maghrébine, turque et africaine noire, et surtout qu'une
majorité des actuels élus "belges de souche" seraient ainsi
mis à la retraite, anticipée ou non. D'un autre côté,
avec les acquisitions de nationalité, ils n'ont plus vraiment de prises
sur cette évolution, et il s'agira d'être très attentif
pour ne pas susciter de backlash...
Pierre-Yves Lambert
http://www.suffrage-universel.be/
Il y a eu quelques réactions à ce texte, j'en retiendrai une,
celle de S.G., un élu d'origine polonaise qui a fait le choix de passer
la main à ce scrutin après avoir siégé successivement
au niveau provincial et communal:
" Concernant la difficulté de continuer à argumenter pour le droit de vote des non-UE alors qu'ils ont maintenant un accès (relativement) facile à la nationalité belge, je pense que l'argument majeur des progressistes doit continuer à se concentrer sur le traitement discriminatoire entre UE et non-UE. Les UE ont eux aussi la possibilité d'acquérir la nationalité belge facilement selon la nouvelle législation; cela n'empêche pas que beaucoup d'entre eux n'en veulent pas mais ont quand même le droit de vote. Pourquoi traiter différemment les non-UE ? Question à poser au président du VLD !"
Je suis évidemment d'accord avec cette position, toutefois il reste bel et bien un problème: la plupart des ressortissants UE, sinon tous, perdent leur nationalité d'origine s'ils deviennent belges, ce qui n'est le cas ni des Marocains ni des Turcs par exemple, le cas des Congolais n'étant pas clair puisque la législation en la matière date de Mobutu et que certains membres du gouvernement Kabila par exemple auraient acquis, à un moment ou à un autre, une autre nationalité. La décision à prendre n'est donc pas de la même nature pour un Français et pour un Turc, pour un Espagnol et pour un Marocain, et je suis d'autant plus sensible à cette question qu'à l'époque où j'ai acquis la nationalité belge (1986) je pouvais rester français en même temps, ce qui n'est plus le cas de mes compatriotes qui deviennent belges depuis 1991, à cause de la Convention de Strasbourg. En clair, je n'aurais jamais demandé la nationalité belge si cela avait dû signifier la perte de ma nationalité française. Il faut revenir sur cette Convention, ce d'autant plus qu'une nouvelle, plus souple, a déjà été ratifiée par quelques pays membres du Conseil de l'Europe.
Pierre-Yves Lambert
http://www.suffrage-universel.be/
le débat sur le droit de vote des étrangers en 2001
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