Belgique -   Etendre le droit de vote en échange d'une loi moins "laxiste" sur la naturalisation ?

Pierre-Yves Lambert (pyl.lambert@skynet.be), 30 avril 2001

On le savait depuis longtemps, la réforme du code de la nationalité entrée en vigueur le 1er mai 2000 n'avait jamais été digérée par le CVP, qui la considère comme "laxiste" et risquant de permettre à des criminels ou à des terroristes d'acquérir la nationalité belge à cause du délai trop court (un mois, dans le texte légal du moins) endéans lequel les Parquets, l'Office des étrangers et la Sûreté de l'Etat devaient donner leur avis.  D'après les chiffres fournis par le groupe CVP à la Chambre, il y aurait eu plus de 42.000 demandes d'acquisition de nationalité belge pour les six premiers mois (mai-novembre 2000) de la nouvelle loi. Dans la réalité, le seul cas où il y a eu un sérieux problème, celui des mafieux géorgiano-russo-israéliens, découvert fin 2000 (voir Suffrage Universel Magazine n°1), n'avait rien à voir avec la nouvelle législation: non seulement les demandes avaient été introduites sous l'ancien code, oeuvre de la précédente majorité dont faisait partie le CVP, mais en plus il s'agissait d'une affaire de corruption de fonctionnaire et aucunement d'une faille juridique.

Les sociaux-chrétiens flamands, qui courtisent sans vergogne l'électorat nationaliste et xénophobe, ont proposé que l'évaluation de l'"intégration" des candidats à la nationalité belge devienne la compétence des communautés, et non plus exclusivement de l'Etat fédéral. La connaissance de la langue devrait notamment constituer une exigence fondamentale (De Standaard/Belga 15/03/2001 ).

De son côté, un député VLD, Guy Hove, estime que la Parlement devrait fixer des critères clairs auxquels une demande de naturalisation devrait satifaire, mais que la décision devrait être prise par une commission de magistrats, et non par une commisison composée de députés, la naturalisation deviendrait ainsi un droit, et non plus une "faveur", terme fort prisé par le président PS de la commission des naturalisations, Claude Eerdekens (De Standaard 16/03/2001).

Lors d'un débat dominical organisé à ce sujet par la télévision publique flamande le 18 mars (De Standaard/Belga 18/03/2001 et De Standaard 19/03/2001), cette proposition du groupe VLD à la Chambre de transférer la décision de naturalisation à un juge qui se fonderait sur des critères objectifs (connaissance de la langue,volonté d'intégration et absence de condamnation pénale dans le pays d'origine) a été réaffirmée par son président Hugo Coveliers. Pendant le débat, le sénateur SP Fred Erdman  a plutôt insisté sur les délais non respectés dans l'application de la loi, pointant le doigt vers les ministres (libéraux) de la Justice et de l'Intérieur quant à la responsabilité de faire appliquer celle-ci correctement.

La députée Agalev anversoise Fauzaya Talhaoui s'est pour sa part déclarée favorable à ce que l'octroi de la nationalité reste une compétence du pouvoir législatif, comme dans les pays voisins d'ailleurs. Pour elle, si des adaptations techniques sont introduites, ce ne doit être qu'après la remise du rapport d'évaluation en mai. Elle a également tenu à rappeler que si Agalev avait accepté cette loi, c'était parce que le droit de vote était apparu comme un objectif impossible à atteindre pendant les négociations de formation du gouvernement en juillet 1999. Fred Erdman a également estimé que le droit de vote des étrangers est le canal le plus approprié pour la participation politique. Le député CVP Jo Van Deurzen , membre de la commission des naturalisations et inlassablme pourfendeur de la loi de 2000, a quant à lui profité du débat pour réaffirmer la position de son parti en matière de nationalité, mais aussi quant au lien insécable entre nationalité et participation politique. 

Rappelons qu'Hugo Coveliers, pendant le débat parlementaire sur la réforme du code de la nationalité en décembre 1999, voulait renforcer l'application de l'article sur la déchéance de nationalité en l'étendant au "défaut d'intégration" et aux condamnations pénales. Début mars 2001, il a voté, avec les chefs de groupes parlementaires Frieda Brepoels (Volksunie), Yves Leterme (CVP) et Gerolf Annemans (Vlaams Blok) contre l'adoption d'une liste de 2.400 naturalisations après que Mme Brepoels ait constaté que certains dossiers avaient été acceptés par la commission des naturalisations malgré les avis négatifs de l'administration, de l'Office des Etrangers et de la Sûreté de l'Etat. En fin de compte, seule une centaine de dossiers controversés fut retirée du lot, et le reste de la liste fut approuvée.

Fin mars 2001, Patrick Jansens, président du SP, déclarait : "Nous restons partisans du droit de vote des étrangers. Nous appliquerons loyalement l'accord de gouvernement, mais je reste sur mon idée que nous avons inversé la logique. La participation politique est une étape sur la voie de l'intégration, et donc le droit de vote des immigrés, surtout au niveau local, doit venir avant l'acquisition de la nationalité. L'acquisition de la nationalité, c'est quelque chose d'émotionnel. Je ne me suis jamais senti plus belge que l'année pendant laquelle j'ai habité Londres. Je serais resté cinq ans là-bas, il m'aurait semblé logique que je faisais partie de la communauté et que j'aurais peut-être voulu y devenir politiquement actif. Mais c'est quelque chose d'autre que de changer de nationalité." (De Standaard 29/03/2001).

Le même jour, son collègue De Gucht déclarait au même journal: "Pour la participation politique, nous avons choisi la législation sur la nationalité plutôt que le droit de vote des immigrés. Je ne vois vraiment pas pourquoi nous n'insisterions pas sur l'acquisition de notre nationalité face à des immigrés qui mettent un point d'honneur à conserver la leur. Je crois que nous pouvons un peu parfaire la législation sur la nationalité sur certains points. La rendre moins sensible à la fraude, et donner plus de temps au Parquet. Je ne crois pas à un test d'"inburgering" (intégration, "citoyennisation"). Le précédent était aussi très arbitraire. Par ailleurs, je crois que le tribunal est mieux placé que la Chambre pour se prononcer au sujet des naturalisations. Mais pour cela il faut réviser la constitution." (De Standaard 29/03/2001

La raison pour laquelle ces thèmes reviennent dans l'actualité est double: d'un côté, la Constitution prévoit (art. 8) que l'adoption d'une loi sur le droit de vote des étrangers hors-UE peut avoit lieu depuis le 1er janvier 2001, d'un autre la nouvelle loi sur l'acquisition de la nationalité fêtera le premier anniversaire de son application le 2 mai, et il était prévu qu'une évaluation prendrait place à cette date. Deux groupes d'experts, un francophone et un néerlandophone, travaillent sur ce thème depuis quelques mois, et le récent rapport annuel du Centre pour l'Egalité des Chances dénonce une nouvelle fois la mauvaise volonté de certaines administrations communales et des magistrats qui ont saboté l'application de cette loi en allongeant de facto les délais de un à quatre, voire six mois.

Les plaintes que j'avais introduites à ce sujet après les élections communales d'octobre 2000 auprès de diverses instances judiciaires et administratives n'ont pas abouti sous prétexte que je n'apportais pas suffisamment de preuves (des cas précis et nominatifs) à l'appui de mes accusations, pourtant basées sur des déclarations sans ambiguïtés de politiciens, de magistrats et de fonctionnaires dans la presse et dans les assemblées tant parlementaires que communales. Mais cela n'a pas suffi au Conseil d'Etat et au Conseil Supérieur de la Justice.  

Fin avril, les chefs de partis flamands de la coalition fédérale se sont tous exprimés à propos du droit de vote des étrangers hors-UE et du code de la nationalité. Karel De Gucht (qui venait d'être réélu président du VLD) a laissé clairement entendre qu'il n'est pas à titre personnel contre cette extension du droit de vote, mais que son parti n'est pas encore prêt à le suivre dans cette voie.

Patrick Janssens, président du SP, a aussitôt tendu la main à Karel De Gucht en proposant de revoir dans un sens moins souple les règles d'acquisition de la nationalité belge pour tenter de faire passer la pilule amère (pour le VLD et ses électeurs) du droit de vote: "La nationalité est un donnée émotionnelle et elle est pour moi, sur le plan intellectuel, un obstacle plus élevé que celui de la participation politique, surtout au niveau local. C'est pour cela que le droit de vote des immigrés me semble plus approprié.'' (De Standaard 25/04/2001).


Pieter De Crem, député CVP, membre de la commission des naturalisations (29/03/2001)

,,L'intégration n'est dans les faits qu'une étape intermédiaire vers l'assimilation. Les Italiens de quatrième génération diront chez nous "je suis un Belge d'origine italienne" de la même façon que les Flamands de quatrième génération en Amérique le disent aujourd'hui. D'où l'importance de la nationalité.''
,,Les Américains et les Canadiens font de l'acquisition de la nationalité une donnée sacrale. Quand on l'acquiert, on s'inscrit dans la logique de la nouvelle citoyenneté. Je crois qu'on doit alors aussi interdire la double nationalité. Cela mène au shopping entre les meilleurs conditions. ''
,,Et naturellement il faut changer l'actuelle législation sur la nationalité. Je ne crois pas exagérer en disant que dans la pratique il faut même à peine avoir habité ici pour devenir belge sous le gouvernement mauve-vert*.''
,,Si on donne un contenu un peu plus fort à la nationalité, on s'oblige au moins à être un bon hôte. Laissons donc aux immigrés toutes les possibilités pour s'intégrer et devenir belges. Ca n'est pas indispensable de forcer, même si on peut bien évaluer s'ils connaissent la langue.''
,,Je crois que 95% de la base du CVP continuent à trouver que l'acquisition de la nationalité est le meilleur canal pour l'acquisition du droit de vote. Je sais bien qu'il y a plus de partisans du droit de vote des immigrés au bureau politique, mais si nous faisons ce pas, nous serons encore une fois punis dans nos propres rangs. De toute façon, on ne va quand même pas créer deux sortes d'immigrés: ceux qui font l'effort de devenir belges, et les autres.''

source: CVP-kamerlid Pieter De Crem. Wees zorgvuldiger met nationaliteit, De Standaard 29/03/2001  (trad. P.Y. Lambert pyl.lambert@skynet.be)

* mauve-vert (paarsgroen): une coalition mauve (comme aux Pays-Bas actuellement) est composée de libéraux (bleus) et de socialistes (rouges), l'actuelle coalition fédérale belge (libéraux, socialistes, écologistes) est donc dénommée mauve-verte en néerlandais, "arc-en-ciel" en français (une coalition sociale-chrétienne-libérale se dit "bleue romaine"/roomsblauw, sociale-chrétienne-socialiste "rouge romaine"/roomsrood :-)


Jos Geysels, secrétaire général d'Agalev (28/04/ 2001)

"Le droit de vote a à voir avec la citoyenneté. Si on vit, on habite, on travaille et on paie des impôts ici, on a le droit de donner forme ensemble à la société. Je ne couple pas cela à la nationalité. Je veux penser d'une manière cohérente. Et si on adapte la "snel-Belg-wet" ("loi pour devenir belge à grande vitesse"), il faut rendre les critères cohérents. On ne peut pas dire que pour pouvoir voter il faut habiter ici depuis autant de temps et pour devenir belge seulement aussi longtemps."

question du Standaard "Donneriez-vous aux immigrés le droit de vote ou l'obligation de vote ?" (une obsession typiquement flamande):

"Selon notre programme officiel nous ne sommes pas favorables à l'obligation de voter. Mais je veux bien y réfléchir. Les études qui disent qu'en éliminant l'obligation de voter on perd un groupe social d'électeurs m'inquiètent. Il n'est pas non plus bon que les Belges doivent voter, que d'autres règles soient d'application pour les citoyens UE, et encore d'autres règles pour les citoyens non-UE. Cela rend la démocratie inutilement compliquée."

Quand le journaliste lui demande si le droit de vote communal des immigrés est une étape vers le droit de vote au niveau flamand (régional) et fédéral, la réponse est claire"A terme. Mais le premier pas lui-même est important. Si on accepte le droit de vote communal, la vision coincée*disparaît.".

Interrogé sur une date pour l'instauration du droit de vote communal, il rappelle "Nous sommes demandeurs. Des propositions de loi ont été introduites à la Chambre et au Sénat. Elles doivent trouver leur chemin. La proposition au Sénat revient sous peu à la commission. D'où mon appel."

Par contre, en réponse à une autre question de type flamando-obsessionnelle du journaliste,  "Est-ce qu'Agalev couple les droits politiques des immigrés à un contrat d'intégration (inburgering) ? L'apprentissage d'une langue nationale  compris.", sa réponse est d'abord que "l'offre de cours de langue est pour le moment trop réduite. Et encore, on parle là de candidats volontaires. Si nous ne sommes déjà pas capables de les organiser, comment voulons-nous les imposer ?"

Le journaliste revient à la charge "Mais si l'offre de cours de langue est accrue, l'obligation linguistique peut-elle être couplée à l'attribution de droits politiques", la réponse est claire: "Ah, à la fin on couple tout à tout. Non. Je dis simplement que les pays qui pensent à de telles obligations ont déjà réalisé des choses qui ici ne peuvent même pas être discutées. Et oui, je pense au droit de vote.".

source: Migrantenstemrecht later ook voor parlement, De Standaard 28/04/2001 (trad. P.Y. Lambert pyl.lambert@skynet.be)

* le terme "verkrampte" que Jos Geysels utilise a une connotation historique non innocente: en afrikaans, langue issue du néerlandais, il désignait au temps de l'apartheid les Blancs "coincés" (verkrampte) par opposition aux "éclairés" (verligte)


le débat sur le droit de vote des étrangers en 2001

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