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Elections musulmanes 2005

http://www.lalibre.be/article.phtml?id=10&subid=90&art_id=181182

La Libre Belgique 30/08/2004

CULTE

Le culte musulman toujours pas organisé

Rachel Crivellaro

Diplomatiquement ajournées, les fabriques de mosquées se font attendre. Une étude radiographie enfin le culte musulman sur le territoire francophone.

Ce sera aussi un des dossiers de la rentrée, au niveau fédéral comme régional. En effet, depuis les accords de la Saint-Polycarpe en 2002, la gestion des cultes a été régionalisée. Mais s'il revient désormais aux Régions d'organiser les fabriques d'églises et les établissements chargés de la gestion du temporel des cultes reconnus, les traitements et les pensions des ministres du culte restent de la compétence du Fédéral.

Egalité

Reste qu'au contraire de la Flandre, ni la Région wallonne ni la Région bruxelloise n'ont encore pris les dispositions nécessaires pour mettre toutes les confessions religieuses et philosophiques à égalité. Côté flamand, le gouvernement a pris un décret qui instaure entre autre des fabriques de mosquées. Côté wallon et bruxellois, la chose a été plusieurs fois évoquée mais le MR et le PS ont toujours préféré différer une quelconque décision, au nom de la prudence dans "un dossier complexe et sensible". Résultat, seules quelques mosquées ont été reconnues par certaines communes. Et leur financement ne fait toujours pas l'objet de contrôle. Quant aux imams qui devraient être désignés par l'Exécutif des musulmans de Belgique (cf. ci-dessus), ils ne sont toujours pas officiellement reconnus et restent livrés à la générosité de leurs fidèles.

Cette non-reconnaissance pratique du culte musulman n'est pas sans poser problème. Elle ouvre notamment la voie aux dérapages comme aux amalgames dans un contexte international passionnel. Face à l'urgence de la reconnaissance effective du culte musulman, les instances régionales font pourtant le gros dos qui évoquent l'absence d'un cadastre exhaustif de la pratique pour agir. Une étude réalisée par Mohamed El Battiui, sous la houlette de la sociologue de l'ULB Firouzeh Nahavandi, pour la Fondation Roi Baudouin, devrait éclairer leur lanterne. Si elle ne solutionne pas les problèmes internes de l'Exécutif, l'étude recense l'ensemble des mosquées, leur constitution et leurs imams en Communauté française. Soit 77 mosquées en Région bruxelloise et 89 en Région wallonne. Elles ont été créées par des mouvements s'inscrivant dans une tradition musulmane, par des mouvements politico-religieux (les Millis Görus, les Frères musulmans, le tabligh,...) ou encore par des instances étatiques (Turquie: Diyanet) ou inter-étatiques (Centre islamique et culturel). Toutefois, remarque Mohamed El Battiui, la majorité de ces lieux de culte est le résultat des chefs de familles sur base de la nationalité, du quartier, du village, de la proximité ethno-familiale.

Prières

Dans les petites mosquées, l'imam (personne chargée de diriger la prière communautaire) est choisi de manière informelle: il doit connaître le texte coranique par coeur et savoir effectuer la prière. Dans les grandes mosquées, c'est un homme ayant reçu une formation théologique. En matière de formation, de recrutement et de rémunération des imams, Mohamed El Battiui met plusieurs modes en évidence. En ce qui concerne les imams turcs, il identifie les imams de la Diyanet, détenteurs d'un diplôme en théologie et possédant une formation professionnelle de minimum 4 ans. Ils sont recrutés et rémunérés par l'Etat turc. Toutefois, les fidèles bénéficiant des services de ces imams payent une cotisation annuelle de 50 €. Les imams des mouvements comme les Milli Görus, les Suleymanci, les Alevi formés pour la plupart dans des institutions privées, y compris en Europe. Ces imams sont rémunérés grâce aux cotisations et aux donations des fidèles. "La plupart des imams de ces deux catégories n'ont aucune connaissance du contexte belge et ne parlent pas ou très peu la langue du pays. Cette situation ne va pas sans poser des problèmes, souligne Mohamed El Battiui. A l'instar de ce que propose l'Exécutif des musulmans, il faut créer un institut de théologie en Belgique qui puisse enseigner en tenant compte de la culture européenne. Des imams aguerris aux cultures et lois du pays permettraient d'alléger la pression sur les jeunes."

Et les courants minoritaires?

Pour les imams des mosquées maghrébines, la situation est différente. La plupart des mosquées ont été fondées sur des critères ethniques et familiaux basés souvent sur la "solidarité clanique". Cela explique que la majorité des dignitaires sont des imams de village. "Ils ont soit une formation classique dans des instituts religieux ou tout simplement une formation traditionnelle au village limitée à un apprentissage par coeur du texte coranique pour assurer les prières", note M. El Battiui. Ces imams sont rémunérés grâce à des cotisations payées par les chefs de familles et parfois grâce à une "aide généreuse mais invisible" (NdlR: la maison royale marocaine). Depuis 2004, la reconnaissance des imams doit aussi obéir à de nouveaux préalables. La mosquée à laquelle l'imam est rattaché doit accueillir au moins 250 fidèles. Si une mosquée attire entre 500 et 1500 fidèles, deux imams pourront être nommés; au-delà de 1500 fidèles, trois imams. "Cette définition ne prend pas en compte de petites mosquées Alevi, par exemple, un mouvement très ouvert. Cela signifie un risque d'hégémonie des deux grandes tendances, craint Mohamed El Battiui. Il faut que les courants minoritaires qui traversent l'Islam puissent aussi s'exprimer."

http://www.lalibre.be/article.phtml?id=10&subid=90&art_id=181184

La Libre Belgique 30/08/2004

Comment former les imams sans ingérence de l'Etat?

THIERRY BOUTTE

A défaut de formation ici, ils iront voir ailleurs... avec le risque d'importer des valeurs nocives à l'islam européen.
Felice Dassetto, islamologue, fustige aussi l'ingérence de l'État

ENTRETIEN

Professeur Dassetto (1), face aux dangers de prêches extrémistes, les pouvoirs publics ne doivent-ils pas veiller à encadrer la formation des imams en Belgique?

L'Etat veut intervenir parce que, jusqu'ici, les instances représentatives des musulmans ont assumé difficilement leurs responsabilités en la matière. Faut-il pour autant les contrôler, voire les encadrer idéologiquement? Je pense que l'Etat belge, soucieux du devenir de l'Islam, dépasse ici ses compétences en s'ingérant au-delà du cadre qu'il s'est imposé en matière de consciences et croyances. Comme pour tout groupe religieux, la formation des responsables -imams, prêtres, pasteurs, rabbins,...- est une responsabilité du groupe même. Maintenant, il existe une nécessité, voire une urgence de formation des imams aux disciplines islamiques immergées dans notre contexte social spécifique. Parce que si cette formation continue à ne pas exister (ou alors de façon marginale) dans notre espace belge ou européen, les personnes intéressées la chercheront dans des universités islamiques de pays musulmans. Avec le risque qu'ils ne reviennent d'Arabie saoudite, d'Egypte ou d'ailleurs, en important des valeurs ou une vision de l'Islam non adaptées ou carrément contraire à la réalité de l'Islam européen. Il est donc nécessaire de mettre sur pied cette formation.

Concrètement, que doit-on attendre demain des pouvoirs publics?

Ne pas s'imaginer que la question va se résoudre via une opération à court terme avec, par exemple, la mise en place -avec de beaux effets d'annonce- d'une formation bricolée dans l'urgence. Non, le problème -ne fut-ce que le recyclage des imams actuels- demandera de nombreuses années pour être résolu. Et il est posé depuis presque trente ans; on en parle, on s'agite de temps en temps, mais on concrétise peu. Maintenant, commençons par aider des musulmans actifs, hommes et femmes, Belges et issus de l'immigration, afin de consolider un premier noyau, compétent pour la formation future. On peut contribuer aussi à l'émergence d'un institut de formation. Pour le prendre en main, commencent à s'activer en Belgique -et ce n'était pas le cas voici 10 ans- des intellectuels musulmans valables. Mais attention, il ne faut pas se tromper sur des offres et acteurs qui apparaissent! Et je ne suis pas sûr que le ministère de la Justice possède en la matière un bon discernement. Ces bons acteurs doivent être compétents, intégrés dans la société belge, et évidemment croyants, pour être crédibles aux yeux du monde religieux musulman. Parce que des gens crédibles pour nous, peuvent ne pas l'être pour des musulmans et musulmanes pratiquants.

J'ai trois craintes par rapport à l'action du ministère de la Justice. Un: un excès d'ingérence. Le principe de neutralité de l'Etat existe aussi pour les musulmans. Deux: la recherche de solutions à court terme. Trois: le mélange culture et religion dans ce dossier. On parle ici avant tout de l'islam comme foi et non pas comme culture ou civilisation.

Après avoir désavoué l'Exécutif des musulmans et sa composition, l'Etat doit-il veiller à la cooptation de musulmans dits éclairés?

La nouvelle élection ne fera que reconduire la situation précédente: un organe qui reste affaibli par trois grands axes de turbulences: les courants religieux internes, l'ingérence des Etats, dont la Turquie principalement, et, aujourd'hui, la division flamand-francophone. Ce à quoi il faudrait ajouter les interventions intempestives et inadéquates de l'Etat belge. Mais cet organe qui reste significatif pour les musulmans et auprès des autorités belges, devra être impliqué dans la formation des imams à un titre ou un autre, sauf à être délégitimé.

Maintenant, pourquoi imposer la cooptation de musulmans dits éclairés? L'Etat impose-t-il des personnes "éclairées" dans le monde chrétien, juif ou laïc (qui est reconnu comme culte) ? De quel droit le ferait-il ici? Les pouvoirs publics doivent aider, non s'ingérer. De plus, cet excès d'ingérence repose sur une illusion: ce n'est pas en contrôlant les instances officielles des musulmans que l'on neutralisera l'islam radical qui se nourrit et se développe dans la marginalité.

Dans ce dossier, on méconnaît la réalité des débats qui traversent le monde musulman belge. A travers ses conflits et ses tensions entre influences extérieures et acteurs d'ici, il cherche à s'auto-éclairer et à faire émerger des leaders éclairés.

(1) Auteur de "Islam du nouveau siècle", 95 pages, 2004, Éd. Labor et de "La rencontre complexe. Occident et islam", 135 pages, 2004, Academia Bruylant.

 


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