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Elections musulmanes 2005

14/07/2004 - Proposition de loi "élections musulmanes" adoptées en commission à la Chambre

Compte-rendu succinct de la journée en commission Justice à la Chambre

A 10h15 ce mardi matin, la salle 5 au rez-de-chaussée de la Chambre des députés doit accueillir la commission Justice, avec pour ordre du jour chamboulé dans l'urgence l'examen d'une proposition de loi créant une commission ad hoc chargée d'organiser les élections de l'assemblée générale des musulmans de Belgique. Deux représentants de "Suffrage Universel" ayant annoncé leur présence dans la tribune de presse, un chat (noir) décide de passer la nuit qui précède dans ladite salle afin d'accueillir dignement ses maîtres naturels. Petit problème, il a oublié d'emmener son bac à gravier portatif et, le matin venu, vu l'odeur carrément infernale, le président de la commission décide de déplacer celle-ci trois étages plus haut, plus loin de Satan le Lapidé (qui connaît toutefois l'existence de l'ascenseur).

Une vingtaine de députés et collaborateurs parlementaires présents, tous partis confondus, trois représentants de la presse, dont les deux précités et une abonnée à leur organe de presse (et néanmoins militante MR). Aucun membre de l'Exécutif des Musulmans, de l'Assemblée Générale des Musulmans, de l'une ou l'autre "Union de Mosquée", aucun boucher (halal ou non), aucun journaliste des grands médias.

10h45 Présentation de la proposition de loi par un de ses auteurs, le PS Thierry Giet (fils d'un ancien procureur général), en gros il synthétise l'avant-propos de la proposition.

Intervention du CD&V (et coauteur de la proposition) Tony Van Parys, ancien ministre de la Justice, qui développe son argumentation habituelle, l'Exécutif actuel n'est pas du tout représentatif car les "Musulmans néerlandophones" y seraient sous-représentés, et malgré les pressions de cet Exécutif, hé bien l'AG sera complètement renouvellée. Reste à voir le projet de loi que la ministre aurait annoncé sur le "screening" (filtrage par les services de renseignements des candidats au prochain Exécutif).

Intervention du CDH Melchior Wathelet jr. (fils d'un ancien ministre de la Justice), en gros le bilan de l'Exécutif actuel, c'est "tout n'est pas parfait mais tout n'est pas à jeter". Il pose cinq questions très précises à la ministre:

  1. Pourquoi l'urgence, que justifie une telle précipitation ?
  2. Où le pouls a-t-il été pris, où les diverses questions ont-elles été posées, puisqu'on a dû poser des questions à des "ogranes plus parallèles" ?
  3. N'y a-t-il pas immixtion de l'Etat dans les affaires d'un culte reconnu, compte tenu des remarques émises dans l'avis du Conseil d'Etat, qui insiste sur le respect de la proportionnalité ?
  4. Qu'entend-on par "consensus" ?
  5. En fin de compte, il importera surtout de donner des moyens au futur organe, qu'est-il prévu exactement à ce sujet ?

Bart Laeremans (Vlaams Blok) rappelle que son parti a toujours été contre la reconnaissance du culte musulman, et estime que le fiasco de ces cinq dernières années ne peut que le conforter dans sa position. D'ailleurs, beaucoup de fondamentalistes font partie de l'Exécutif ou ont été élus en 1998. Parmi les membres de l'actuel Exécutif il en est huit qui avaient été refusés en 1999 par la Sûreté de l'Etat pour cause de liens avec des extrémistes musulmans. Ce qu'il faut, ce n'est pas voter sur l'organisation des élections mais sur qui peut être candidat ou membre d'un tel exécutif, donc pas seulement sur les aspects formels mais sur la proportion de Flamands, de francophones, sur la représentation des femmes etc. Il cite ensuite le "Pater Leman" (Johan Leman, ex-directeur du Centre pour l'Egalité des Chances, qui avait participé à l'organisation des élections de 1998) qui aurait déclaré dans uen récente interview que les huit "refusés" de 1999 auraient quand même été nommés l'année dernière en échange de votes pour les partis qui les ont imposés malgré l'avis négatif de la Sûreté. Le Ps est d'ailleurs devenu, surtout depuis ces dernières élections régionales, un "Parti Socialiste Islamique", dont la majorité des élus sont musulmans, et on va d'ailleurs bientôt voir se concrétiser la menace d'avoir des ministres musulmans. Le député Laeremans demande l'audition d'experts, dont Urbain Vermeulen [islamologue virulemment islamophobe proche du Vlaams Blok qui donne des cours d'introduction à l'islam aux futurs magistrats et inspecteurs de la Sûreté de l'Etat], ainsiq ue des informlations extrêmement détaillées sur le mode de fonctionnement effectif de l'Exécutif et de l'Assemblée générale des Musulmans de Belgique. Bien évidemment, il veut qu'il y ait autant de néerlandophones que de francophones dans un éventuel futur organe, et une représentation des femmes.

Zoé Genot (qui nous avait communiqué le contenu de son intervention):

Je souhaiterais demander des auditions, pour bien comprendre le
contexte actuel, les tendances et les aspirations de la Communauté musulmane, il me semble qu'avant d'examiner ce texte il serait souhaitable d'entendre un certains nombre de membres de cette communauté. A cet effet, je souhaiterais donc que la commission se prononce sur cette demande d'auditions.
Autre préalable, à l'examen du texte et à sa discussion, je trouverais intéressant qu'on puisse disposer d'un avis du Conseil d'Etat sur cette proposition. Cette proposition s'inscrit dans un domaine particulièrement sensible vu la séparation de l'Etat et des cultes. A l'heure actuelle, l'assemblée élue n'est pas demanderesse de cette initiative, elle lui est imposée. Il me paraît donc primordial de vérifier la légalité de ce texte et je souhaiterais donc que la commission demande au président de la Chambre de solliciter l'avis du Conseil d'état sur cette proposition. Cela me paraîtessentiel, cet avis est incontournable.
Permettez moi par ailleurs de m'étonner du calendrier forcené qui est adopté pour ce texte. Jeudi prise en considération d'un texte sur base de l'épreuve, toujours pas de texte définitif disponible vendredi et ce week-end, ni papier, ni sur le net. Et voilà qu'on voudrait maintenant examiner ce texte de toute urgence ce mardi à la chambre en commission, mercredi au sénat en commission ( ce qui n'est pas vraiment courant ni très adapté : travail sans avoir le rapport de la chambre par exemple...),
jeudi en plénière de la chambre, vendredi en plénière au sénat.
Et cela juste après les élections, rapidement, discrètement au milieu de l'été...cela fait très fort penser à la méthode utilisée pour, en catimini, l'été passé, édulcorer la loi de compétence universelle... De la démocratie au rabais, et je pense que ce dossier vaut mieux que ça.
Historique du dossier
Reconnu en 74, et trente ans après toujours pas de financement de ses lieux de cultes. On ne peut pas dire que le Culte musulman est très privilégié...
En 98, le gouvernement accepta la proposition de l'exécutif provisoire d'organiser des élections afin d'installer une assemblée constituante. Le 13 décembre 98, 45 000 musulmans votèrent pour désigner le futur organe représentatif. Un grand moment de démocratie , unanimement salué. Une source de fierté pour la communauté musulmane qui a organisé ces élections, sans expérience mais avec énormément de bénévolat et de rigueur.
On peut lire dans le dossier du Crisp de Caroline Sagesser et Vincent de Coorebyter : " On peut remarquer que l'Eat ne s'est jamais autant impliqué dans la mise en place de l'organe représentatif d'un culte reconnu.
Les exigences imposées aux membres de l'Executif des Musulmans de Belgique en matière de mode de désignation, de représentation de diverses minorités, de niveau scolaire..., n'ont pas été imposées aux autres cultes.
L'AR du 18 juillet 2003 reconnaissant un nouvel Exécutif a pris fin lundi 31 mai 2004.

Raisons invoquées par la proposition
La proposition de loi est justifiée par deux considérants :
- l'absence de consensus au sein de la communauté musulmane
- le défaut de critères juridiques objectifs incontestables pour le
renouvellement partiel
Revenons sur ces deux éléments primordiaux, puisqu'ils justifient la fin anticipée d'une assemblée élue.

L'absence de consensus supposé de la communauté musulmane.
Oui, comme dans toutes les communautés démocratiques, il y a des consensus mais aussi des dissensions, des tensions, et je pense que c'est très sain.
Remarquons qu'à la suite des élections du culte musulman, certains au sein de l'église catholique ont réclamé l'organisation d'élections similaires ou des mécanismes de représentations aussi équilibrées pour par exemple les femmes, ils n'ont pas été entendu par le ministre de la justice...
Si cette proposition passe, toutes les tendances de toutes les
religions comprendront qu'il suffit d'écrire à la ministre de la justice pour obtenir de nouvelles élections. A moins que ce traitement ne soit réservé qu'aux musulmans ?
Soyons clair ce qu'on instaure ici : c'est la prime au bordel. Ne jouez pas le jeu démocratique, cela ne sert à rien. Pas besoin de légitimité pour se faire entendre. Demain après les élections, quelles assurances d'un plus grand consensus ????

Relisons la proposition de loi soutenue par le PS, le CDV, VLD, MR et SPA :
" Or, lors d'entretiens avec d'autres représentants de la Communauté musulmane de Belgique ou par plusieurs courriers (...) " Il a donc d'autres représentants. Pour la clarté démocratique, je pense qu'il est indispensable de les citer et d'expliciter les modes de représentation qui les ont désignés. Nous revoilà projeté dans le passé, où les ministres pouvaient choisir les interlocuteurs qu'ils souhaitaient écouter.
C'est pour éviter ça, qu'on a créé un organe représentatif ! Cette façon de procéder est clairement incorrecte et peut-être même illégale.

Deuxième raison évoquée : les critères du renouvellement partiel
proposé par l'Executif soulèveraient certaines questions juridiques. Je pense que les parlementaires, qui se sont renseignés auprès de l'Assemblée ou qui on lu leur courrier, sont donc maintenant totalement rassurés, puisque les critères qui les inquiétaient, décrits dans la proposition, ont été abandonnés. Et que les nouvelles propositions s'inscrivent strictement dans le cadre de 98. L'assemblée se prononcera par un vote interne sur le tiers sortant, comme prévu initialement et dans le règlement. L'absentéisme ne sera qu'un des éléments d'information communiqué aux membres de l'assemblée.

Autre problème soulevé par la proposition, et je me conterai de lire la réponse de l'Executif, puisque vu le refus d'organiser des auditions ils ne peuvent être entendu dans ce parlement.

" Le mécanisme de consultation en lieu et place de la cooptation : là également l'institution revient aux accords de 1998 et aux règlement d'ordre intérieur. Qui prévoyaient un renouvellement partiel par cooptation suite à une consultation des communautés locales. Cependant par un souci de démocratisation du processus, le mécanisme de cooptation serait "formellement " maintenu par la cooptation par les deux tiers restants des candidats librement proposés et élus préalablement par une " consultation des communautés locales ", à savoir le vote au sein des mosquées et des lieux publics désignés. Ainsi toujours en conformité avec les textes en vigueur, une plus grande démocratie est assurée par un vote exprimé à la base. "

On le voit donc les raisons évoquées pour justifier la convocation
d'élections globales, qu'elles soient juridiques ou interventionnistes, sont infondées. Nous restons donc face à un projet qui est clairement une ingérence dans l'organisation d'un culte, ingérence injustifiable et particulièrement malheureuse en terme de non respect de ce culte musulman et de ces institutions démocratiquement élues.

Il est particulièrement incorrect intellectuellement d'évoquer " ce n'est pas à l'Etat mais aux électeurs de la communauté musulmane de trancher ".
Car ces électeurs ont déjà tranché, et cela dans le cadre d'une
procédure définie il y a 5 ans et pour 10 ans, l'assemblée actuelle fait déjà preuve d'une grande maturité et d'un grand souci de transparence en souhaitant une consultation des communautés locales sur base d'élections. Ici, c'est l'Etat qui tranche, l'Etat qui change les règles du jeu en cours de partie, l'Etat qui nie les représentants démocratiques que s'est désigné la communauté musulmane.

La proposition de loi évoque des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, intéressants mais sans objet ici à moins qu'on considère que nos idées et valeurs démocratiques soient menacées ?

En 98, un simple arrêté ministériel installait une Commission
d'accompagnement. L'exécutif provisoire a organisé les élections. La commission a accompagné et veillé à la régularité de ces élections.
Et le rapport, établi à l'époque, a considéré que ces élections se sont déroulées dans de très bonnes conditions.

Pourquoi donc organiser maintenant des élections sous tutelle ? Plus question maintenant d'une commission d'accompagnement, mais d'une commission chargée du renouvellement des organes du culte. Une loi est donc nécessaire.
Cette commission est explicitement chargée de prendre toutes les mesures nécessaires pour l'organisation des élections générales. Cinq ans plus tard, la Communauté musulmane ne saurait donc plus capable d'organiser des élections ????
Et quand on lit que " La volonté est que cette commission agisse en toute indépendance et jouisse de la plus grande autonomie (...) "...on ne peut que sourire...jaune.
Pourquoi localiser la commission dans un organe qui dépend du
ministère de la justice ? il aurait pu être accueilli par une des instances sous la tutelle du parlement (médiateurs, cour des comptes, conseil supérieur de justice,...). Comment une commission composée exclusivement de personnes désignées par la ministre de la Justice et sur base de critères inconnus pourrait rassurer ?

Plutot que d'installer de nouvelles instances légitimées, le cadre choisi aujourd'hui est de nature à provoquer une suspicion légitime et malheureuse, qui risque pour de nombreuses années, de plomber le dialogue et la prise en compte de la Communauté musulmane. Espérons qu'il ne faudra pas une nouvelle ingérence ou mise sous tutelle dans un avenir proche pour dénouer la situation...

Après Zoé Genot, c'est au tour de Filip De Man (Vlaams Blok) de prr"endre la parole, vers 11h30, il la gardera jusqu'à la pause de midi, vers 12h30, et la reprendra de 14h40 à 17h35, quand le président de séance Fons Bourginon (VLD) réussit à arrêter sa logorrhée grâce à un point de procédure. Avec un acolyte, De Man réussit quand même à prolonger le filibustering jusqu'à une pause-repas vers 18h30, les élus du Vlaams Blok auront donc réussi à monopoliser le crachoir pendant plus de 5h.

Notons quand même qu'il s'agit d'un filibustering d'un niveau plus élevé que lors des discussions sur le droit de vote des étrangers au Sénat, le texte lu, de plusieurs dizaines de pages, est réellement intéressant et constitue un rappel historique, remontant aux débuts de la papauté, des relations entre églises/cultes et Etat. Le même texte avait en fait déjà été lu au Parlement flamand voici quelques mois, à l'occasion d'une discussion sur le financement des mosquées par la Région flamande.

Quelques points en vrac (en-dehors de l'exposé historique):

Pendant tout ce temps, la ministre de la Justice demeure bien sagement assise à sa place, sachant que de toute façon elle aura le dernier mot et que "sa" proposition sera votée, même à une heure tardive (Ecolo n'a pas le droit de vote en commission, car il ne con,stitue plus un groupe politique depuis sa défaite électorale en 2003, et le CDH a informé un de ses frères de parti qu'il s'abstiendrait). A l'interruption de midi, les trois seuls journalistes et observateurs présents avaient tancé téléphoniquement le président de l'Exécutif des Musulmans pour l'absence totale de ses ouailles, et dans le cours de l'après-midi les trois membres de Vigilance Musulmane, plus deux ou trois proches de l'Exécutif assistent à une partie des débats, ainsi que pendant moins longtemps le chef de file du camp adverse pro-Onkelinx, Benjelloun Kissi, président de la prétendue "Union des Mosquées".

En fin de compte, après la reprise de la séance vers 19h45, tous les élus présents du Vlaams Blok se lèvent de concert après une dernière dénonciation de "l'attitude inqualifiable et antidémocratique" du président de séance, ce départ est d'autant plus inattendu que juste avant leur chef de file venait d'annoncer que chacun d'entre eux parlerait pendant sa demi-heure réglementaire, et qu'ils étaient huit inscrits, tout le monde s'attendait donc à rester au moins jusqu'à minuit...

La fin de la séance est rapidement expédiée, à partir de 20h11 la ministre répond aux questions, des amendements sont proposés, ceux de Zoé Genot sont rejetés, ceux de Thierry Giet, Claude Marinower et consorts sont acceptés. Le projet de loi sur le "screening" sera quant à lui déposé à la Chambre le 20 juillet, veille de la Fête Nationale.

 


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