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Elections musulmanes 2005

28/06/2004 - Gestion du culte musulman - "Diviser pour régner"

[ndPYL L'analyse qui suit, ainsi que l'interview de Mohamed Boulif, ont été diffusées en anglais et en français, notamment en Amérique du Nord, par Human Rights Without Frontiers (à ne pas confondre avec Human Rights Watch), qui m'a autorisé à les reproduire sur la liste Suffrage Universel, qui constitue d'ailleurs une de ses sources d'information sur ce sujet.]

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BELGIQUE

Tensions persistantes entre l’état et les organes représentatifs

de la communauté musulmane

"Diviser pour régner"

Willy Fautré, Human Rights Without Frontiers Int.

HRWF Int. (24.05.2004) - Website http://www.hrwf.org - Email info@hrwf.net - Le 31 mai 2004, le mandat de l’Exécutif des Musulmans de Belgique défini par un arrêté-royal daté du 25 mai 1999 arrivera à échéance et aucune date n’a encore été fixée pour l’élection de ses membres par l’Assemblée Constituante qui est toujours en attente d’être renouvelée. " Le gouvernement n’a pas pris les mesures nécessaires en temps utile ", a déploré amèrement le président de l’Exécutif Mohamed Boulif (économiste d’origine marocaine) lors d’une réunion publique tenue dans ses locaux le 17 mai 2004.

Les membres de la première Assemblée et du premier Exécutif ont été désignés pour cinq ans après les élections organisées au sein de la communauté musulmane le 13 décembre 1998. Un accord pré-électoral avec le gouvernement de l’époque (mars 1998) stipulait qu’un tiers des 68 membres de l’Assemblée serait remplacé par cooptation après cinq ans de fonctionnement – mais ne précisait pas selon quels critères les démissionnaires seraient choisis – et que des élections générales seraient organisées en 2009.

Actuellement, il y a désaccord total dans ce dossier entre la ministre de la Justice Laurette Onkelinx (1) et les organes représentatifs de la communauté musulmane. L’Exécutif et l’Assemblée désirent s’en tenir aux principes généraux de l’accord conclu en 1998 alors que la ministre a choisi d’ignorer le principe fondamental de la neutralité de l’état quand elle a publiquement déclaré à plusieurs reprises son option préférentielle pour des élections générales et qu’elle a commencé à poser des actes en ce sens.

Relations turbulentes depuis 1999

Pendant toute la durée de leur premier mandat, l’Assemblée et l’Exécutif ont dû travailler dans des conditions difficiles: ingérences continues de l’état dans leurs affaires intérieures, rejet de candidats élus par le ministre de la Justice de l’époque (vives controverses autour de la procédure de screening discrétionnaire menée sur base du travail de la Sûreté de l’Etat), méfiance à l’égard du premier président de l’Exécutif, manipulation de certains mouvements musulmans par le gouvernement, manque de subsides de fonctionnement et de ce fait utilisation de personnel bénévole ont été parmi les principales raisons qui ont conduit à des tensions continues dans la communauté musulmane et à la radicalisation de certains mouvements à l’égard de la politique de l’état.

Quelques groupes musulmans ont également rendu public leurs désaccords avec la politique de l’Exécutif. Des heurts entre les fondamentalistes et les modernistes, de même qu’entre des groupes de différentes origines nationales, ont été monnaie courante. Pendant le dernier trimestre de l’année 2002, le gouvernement a considéré que l’Exécutif ne représentait plus la diversité des points de vue musulmans. Deux sénateurs ont été désignés pour une mission d’information et pour proposer des recommandations. Cette initiative politique a été perçue par l’Assemblée et l’Exécutif comme un nouvel acte d’ingérence dans leur fonctionnement interne. Les deux sénateurs ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur des propositions communes en vue d’assurer une meilleure organisation du culte musulman en Belgique. Le sénateur Philippe Moureaux a recommandé de limiter le rôle de l’Assemblée et de ré-élire la moitié des membres de l’Exécutif ainsi que de maintenir la procédure de screening, quoique assortie d’un droit d’appel.

En 2003, l’Assemblée a souverainement pourvu à des postes devenus vacants en son sein et dans l’Exécutif. L’état a refusé de reconnaître ces désignations unilatérales (9 membres sur 16 ont été écartés par la ministre de la Justice parce qu’il s’agissait prétendûment de " radicaux ") et le gouffre entre les divers acteurs s’est considérablement élargi. Sous la contrainte, l’Assemblée et l’Exécutif ont dû négocier la désignation des nouveaux membres avec le gouvernement. Ce compromis a ravivé la colère dans la communauté musulmane et l’a divisée une fois de plus. Le mandat de l’Exécutif-bis, comme on l’a alors appelé, a été validé par le gouvernement jusqu’au 31 mai 2004. Depuis lors, la ministre de la Justice soupçonne le nouveau président de l’Exécutif d’être proche des Frères Musulmans, ce qu’a nié l’intéressé lors d’une interview accordée à Human Rights Without Frontiers Int. La ministre prétend également que l’Exécutif a été infiltré au plus haut niveau par le mouvement nationaliste turc Milli Gorüs.

Le 23 février 2004, la Fédération Islamique de Belgique (turque) et la Fédération des Unions des Mosquées (arabe) ont demandé audience à la ministre Onkelinx derrière le dos de l’Exécutif qui entretemps avait mis en place une structure plus large de consultation des associations musulmanes sur un certain nombre de dossiers.

La minister a reçu le president de l’Union des Mosquées de Bruxelles, Benjelloun Kissi, et trois autres représentants qui lui ont dit que la communauté musulmane était en faveur d’élections générales (3). La ministre s’est empressée d’instrumentaliser cette visite et a écrit dans une lettre adressée à l’Exécutif le 8 avril 2004 : "J’ai rencontré à leur demande des responsables de la Fédération des Unions des Mosquées ainsi que du CDC et les responsables de la Communauté turque au sujet du renouvellement de l’Exécutif des Musulmans de Belgique et de la Constituante. Il ressort de ces contacts que les responsables consultés sont favorables à l’organisation d’élections générales pour le renouvellement integral de la Constituante " (4). Et le 22 avril 2004, elle a également tenu le même langage à la députée Clotilde Nyssens (5) qui lui posait une question orale à ce sujet. Elle a alors ajouté que 300,000 EUR provenant du budget du ministère de la Justice seraient consacrés à l’organisation des élections." Cette collusion entre la ministre de la Justice et quelques groupes musulmans qui n’acceptent pas la règle de la majorité à l’Assemblée et à l’Exécutif est perçue comme une ingérence inadmissible dans leur processus de consultation démocratique et dans leur fonctionnement interne, ainsi que comme une tentative de miner leur légitimité populaire et d’attiser des conflits internes.

"Diviser pour régner", dit le proverbe.

Renouvellement de l’Assemblée et de l’Executif: positions actuelles

L’Assemblée et l’Exécutif prétendent être prêts pour le renouvellement d’un tiers de leurs membres. A cause des élections régionales et européennes du 13 juin 2004, les vacances d’été et le Ramadan, un renouvellement de l’Assemblée et de l’Exécutif ne peuvent être envisagés avant l’automne.

L’Assemblée et l’Exécutif examinent diverses procédures pour désigner le tiers des membres qui devrait être remplacé. De commun accord, ils ont décidé de renoncer à la cooptation de nouveaux membres au profit d’élections locales.

Lors de la réunion du 17 mai 2004 mentionnée antérieurement, les présidents de l’Assemblée et de l’Exécutif ont confirmé qu’il n’y avait pas d’accord avec le gouvernment pour tenir des élections générales anticipées mais ont souligné que la ministre de la Justice partageait leur point de vue sur la suppression du système de cooptation.

(1) Le Département des Cultes dépend du Ministère de la Justice.

(2) L’Exécutif des Musulmans a droit à des subsides du Ministère de la Justice, au même titre que les six autres religions et la laïcité qui sont reconnues par l’état. En 2004, le Ministère de la Justice a tardé à mettre en oeuvre la procédure de liquidation concernant l’Exécutif qui s’est ainsi retrouvé au bord de la faillite. Le 6 mai 2004, Mohamed Boulif déclarait dans La Libre Belgique "On nous a coupé le téléphone et nous devons nous battre avec nos créanciers. Nous attendions 45% de notre dotation pour le mois de février mais nous n’avons encore rien reçu." Certains pensent même que c’est une forme de sabotage. Le 22 avril 2004, la ministre Onkelinx avait pourtant donné des assurances que le dossier serait résolu " dans quelques jours". Une première partie du subside du fonctionnement pour 2004 a été finalement versée au début du mois de mai.

(3) Plusieurs de ces représentants ont toutefois été désavoués par leur base au motif qu’ils avaient exprimé leurs idées personnelles sans les consulter.

(4) Malgré la doctrine officielle de la neutralité de l’état dans les affaires religieuses, le fil conducteur de la politique des divers gouvernements belges à l’égard de la communauté musulmane a toujours été d’essayer de formater un Exécutif d’après leurs propres critères: marginaliser les mouvements fondamentalistes, favoriser certaines nationalités et garantir la stabilité d’un Exécutif docile qui fasse la police en leur nom au sein de la communauté. Les musulmans veulent être traités comme les autres religions reconnues, à savoir sans ingérence de la part de l’état.

(5) CDH, parti démocrate-chrétien dans l’opposition au niveau fédéral depuis 1999.

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BELGIQUE

A propos du financement de l’islam par l’Etat

HRWF Int. (22.06.2004)/ Email : info@hrwf.net – Website : http://www.hrwf.net - Au printemps de 2004, la presse s’est fait l’écho de tensions entre l’Etat belge et l’Exécutif des Musulmans de Belgique (EMB). L’un des litiges concernait la non-liquidation par l’autorité de tutelle, le ministère de la justice, de sa subvention annuelle. Human Rights Without Frontiers Int. a rencontré le président de l’Exécutif, Mohamed Boulif, ancien directeur financier d’une société au Luxembourg.

HRWF : Monsieur le président, l’Islam est une religion reconnue en Belgique depuis 1974. A ce titre, elle doit être subsidiée par l’Etat. Comment ce financement a-t-il évolué au cours de ces 30 dernières années.

Mohamed Boulif : Pendant 25 ans, la mise en place d’un organe chef de culte musulman n’a pas été possible parce que l’Etat belge n’a pas voulu en reconnaître la composition telle qu’elle avait déterminée par la communauté musulmane. Le financement de l’Islam a donc été pratiquement inexistant. Avec la reconnaissance de l’Exécutif Provisoire des Musulmans fin 1994 s’est ouverte la porte d’une certaine forme de financement pour couvrir ses frais de fonctionnement (1).

HRWF : Le financement de l’Islam s’est-il amélioré après la mise en place de l’Exécutif des Musulmans de Belgique en 1999, le premier organe chef de culte musulman reconnu par l’Etat ?

Mohamed Boulif : En 2000, nous avons reçu 20 millions BEF (env. 500,000 EUR). En 2002, 650 000 EUR, l’an dernier 700 000 EUR et cette année 726 000 EUR. Il ne s’agit pas vraiment d’un budget mais c’est en fait plutôt une enveloppe spéciale tirée du budget du ministère de la justice. Ce montant permet de couvrir le salaire et les frais de représentation de la présidence, les salaires de huit secrétaires à temps plein, les frais de fonctionnement y compris les frais de déplacement des membres de l’Assemblée Générale, le loyer et les charges locatives. Le poste de " présidence " de l’Exécutif a été créé par le ministère de la justice pour qu’il puisse entrer dans son cadre et dans sa structure budgétaire.

HRWF : Les montants octroyés à l’Exécutif sont donc en augmentation régulière.

Mohamed Boulif : Oui, mais nous comptons quelque 350 000 musulmans en Belgique et comparativement aux autres religions reconnues (2), nous sommes très largement sous-financés. Le budget dont nous aurions besoin pour faire fonctionner l’Exécutif avec une administration complète devrait tourner autour de 2,5 millions EUR. Nous n’avons aucun cadre.

HRWF : Le 24 mai, Tony Van Parys (député néerlandophone CD&V) (3), a déclaré dans son interpellation adressée à la ministre de la justice Laurette Onkelinx sur le financement de l’Islam que vous aviez reçu 1 126 000 EUR.

Mohamed Boulif : C’est vrai mais 100 000 EUR ont été ajoutés pour couvrir le déficit des frais d’organisation des élections de l’Exécutif en 1998 et 300 000 EUR pour les élections prévues cette année pour le renouvellement partiel du même Exécutif.

HRWF : Le député Van Parys accuse l’Exécutif des Musulmans de négligences administratives et financières. Il dit notamment que vous n’avez introduit votre budget pour 2004 que le 5 février 2004 au lieu du 20 octobre 2003. Quelle est votre réponse à ses attaques ?

Mohamed Boulif : Le député Van Parys a sans doute été mal informé. Nous n’avons commis aucune négligence. Un budget de 2,5 millions EUR a été présenté en octobre 2003. En décembre, le ministère de la justice nous a répondu qu’un montant limité à 726 000 EUR nous serait alloué (4). Le 4 février 2004, nous avons reçu un coup de fil du ministère de la justice nous demandant – pour la première fois - de leur présenter pour le lendemain (!) une répartition des dépenses prévues en 2004 sur base du budget revu à la baisse. La presse s’est fait l’écho de notre situation financière parce que nous étions au bord de la faillite cette année et prêts à faire face aux huissiers. La première tranche ne nous est parvenue que vers la mi-mai alors que nous n’étions pas responsables. Nous avons même dû faire un emprunt.

HRWF : Comment s’opère la liquidation de la subvention annuelle ?

Mohamed Boulif : Normalement, une première tranche de 45% est liquidée en janvier, une deuxième de 45% en mai et la dernière de 10% en avril de l’année suivante après approbation des justificatifs. Pour toutes les années précédentes, nous n’avons jamais reçu la dernière tranche alors que nous avons rentré les justificatifs. Cela représente un montant non négligeable : 70 000 EUR rien que pour l’année dernière (5).

Propos recueillis par Willy Fautré

le 4 juin 2004 dans les locaux de l’EMB à Bruxelles

Human Rights Without Frontiers Int. recommande

dans l’état actuel du modèle de financement des religions

au parlement fédéral

de reconsidérer le budget annuel de l’Exécutif des Musulmans de Belgique de manière à prendre en compte leurs besoins réels et à éviter des inégalités criardes par rapport aux autres cultes financés par l’Etat;

au ministère fédéral de la justice

de faire suivre de très près la procédure de liquidation de la subvention de l’Exécutif des Musulmans de Belgique par les administrations concernées afin d’éviter tout retard indû.

Notes HRWF

  1. 2,4 millions BEF (soit env. 50 000 EUR) ont été octroyés en 1995, 5 millions BEF en 1996 (env. 125 000 EUR), 10,8 millions en 1998 ( env. 270 000 EUR), 17 millions en 1999 ( env. 425 000 EUR).
  2. A titre indicatif, en 2000, l’Eglise Protestante Unie de Belgique (env. 100 000 fidèles) recevait près de 1,950 millions EUR, l’Eglise orthodoxe (env. 40 000 fidèles) 825 000 EUR et le judaïsme (env. 40 000 fidèles) un peu moins de 500 000 EUR.
  3. Le député Van Parys a été ministre de la justice. Le CD&V est le nouveau nom du CVP, parti des démocrates chrétiens flamands, actuellement dans l’opposition, après avoir dominé la politique belge presque de façon interrompue de puis l’après-guerre jusqu’à la fin du siècle.
  4. Dans sa réponse à l’interpellation de Tony Van Parys, la ministre de la justice déclarait " L’Exécutif a déposé un budget de 2,5 millions EUR pour 2004. Ce montant n’a cependant pas pu être admis, pour des raisons de technique budgétaire. L’Exécutif en a été avisé par courrier dès le 5 novembre 2003, et a déposé un nouveau budget le 5 février 2004. Le retard pris dans l’élaboration du budget a inévitablement eu des répercussions sur le paiement de la première tranche, versée le 11 mai dernier. "
  5. Dans sa réponse à la même interpellation, la ministre de la justice déclarait à ce sujet : " Les moyens sont toujours liquidés sur la base de pièces judtificatives des dépenses. La dernière tranche du budget 2002 n’a pas été versée parce que les honoraires et les frais d’avocats faisaient l’objet de discussions. Entretemps, une enquête a abouti et ses conclusions seront communiquées prochainement à l’inspection des finances. (…) Pour que les choses soient claires, il ne s’agit pas de malversations. "

 


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