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Elections musulmanes 2005

[carte blanche parue dans Le Soir du mardi 25 mai 2004]

A propos de l’islam institutionnel : des querelles internes au conflit des cultures

Près d’un quart de siècle s’était écoulé entre la reconnaissance du temporel du culte musulman et la mise en place, par le biais d’élections, d’un organe de représentation des communautés islamiques.

L’Exécutif des Musulmans de Belgique (EMB) devenait alors, en 1999, l’organe interlocuteur du gouvernement pour toutes les matières liées à la gestion administrative et financière de l’islam.

Actuellement, l’organe chargé de la représentation symbolique d’une communauté de foi très diversifiée doit organiser son renouvellement. En effet, l’Arrêté royal du 18 juillet 2003, portant reconnaissance des membres de l’EMB, cessera d’être en vigueur ce 31 mai prochain.

Affaire interne aux musulmans, dont la banalité n’offre aucun intérêt à ceux qui ne se sentent pas concernés par les aventures de l’institutionnalisation de l’islam en Belgique ? Oui et non !

C’est que le conflit s’annonce entre ceux qui sont favorables à un renouvellement partiel (1/3) de la Grande Assemblée et ceux qui soutiennent la nécessité d’un renouvellement général de l’institution. Certains justifient leur position par le respect des accords passés sous d’autres législatures et le souci de la continuité. D’autres soulignent la boiterie d’une institution remaniée à coup de cooptations et déficitaire sur le plan représentatif.

Outre l’incertitude autour du taux de participation électorale, se dessine aussi une incertitude juridique qui pourrait sanctionner le caractère réellement démocratique de la procédure. Peut-on imposer des conditions de diplôme aux futurs candidats de la Grande Assemblée ? En cas de renouvellement partiel, comment un tiers des membres de l’Assemblée pourrait être considéré comme démissionnaire en se basant sur la liste des présences, en remodelant après coup le règlement d’ordre intérieur et en l’appliquant avec effets rétroactifs ?

C’est sur cet imbroglio juridique que se greffe une autre réalité: celle que déterminent les contraintes de la politique belgo-belge et sur laquelle essaient de peser les différents protagonistes pour infléchir la tendance souhaitée en se ciblant mutuellement. Qu'il s'agisse de la ministre de la Justice en charge des cultes, bousculée par des interventions parlementaires l'accusant de laxisme ou d’ingérence, ou qu'il s'agisse des élus "communautaires" ou autres, sollicités à l'approche des élections prochaines, la donnée politique est une constante omniprésente dans le dossier de l'institutionnalisation de l'islam. Et cette donnée risque de transformer ce qui apparaît de prime abord comme des querelles futiles, en une crise de confiance entre l'institution et les autorités.

Mais il y a pire. Les différends peuvent être exploités, et par ceux qui ont avantage à étendre le conflit à l'ensemble d'une communauté de foi en s'identifiant abusivement à elle, mais aussi par ceux qui sont convaincus de la non-solubilité de l'islam en terre " occidentale ". L'instrumentalisation du conflit risque de faire ressortir les anathèmes bien connus par lesquels on se renvoie la responsabilité (islamophobie/intégrisme, ingérence du politique dans le religieux/Etat de droit). Plutôt que de voir uniquement se dérouler une bataille rangée entre les musulmans "pour" et les opposants "contre" autour d'une banale affaire concernant les modalités de renouvellement d'une institution, on pourrait alors assister, par effet de masse calculé ou non, chacun abordant sa propre réalité, à voir se dessiner des barricades et des remparts : celles qui laisseraient supposer que les musulmans de ce pays ne sont pas des citoyens comme les autres, qu'ils sont d'éternelles victimes, ou qu'ils sont les "ennemis de l'intérieur".

Pourtant, pour prévenir cette dialectique détestable, et permettre à une institution religieuse de continuer à remplir sa mission d'interlocuteur fiable et respecté, jouissant d’une image rassurante, le conflit aurait pu être circonscris aux intéressés eux-mêmes par l'organisation d'une consultation populaire, laquelle aurait pu permettre de dégager une tendance majoritaire sur la conduite à suivre. Bref, les trois réalités qui conditionnent le devenir de l'institutionnalisation de l'islam "belge" auraient pu se rejoindre par la preuve du consensus: la réalité de ceux qui dirigent l'institution, la réalité de ceux qui leur sont opposés, mais aussi et surtout la réalité du monde politique désireux de satisfaire l'opinion publique et de ne pas être confronté à une avalanche de plaintes. Malheureusement, le débat a été lancé sur la place publique. La polémique s’étend. Le climat de suspicion s’alourdit.

La dénégation de la réalité politique, par maladresse ou manque de clairvoyance, comme son instrumentalisation à des fins intéressées ou sectaires, risquent de voir les différentes parties se radicaliser. Néanmoins, l’EMB, bénéficiant de sa qualité de service public veillant à l’intérêt général, devrait pouvoir continuer sa mission au-delà de son mandat. Ses membres ne devraient pas être considérés comme démissionnaires dans cette phase transitoire. Les négociations pourraient alors se poursuivre sur les modalités de renouvellement de l’institution. Pas de quoi finalement dramatiser et déranger la majorité politique actuelle à l’aube des prochaines élections régionales. Si ce n’est qu’après le 13 juin, une incertitude politique majeure s’annonce et elle dépasse le cadre musulman : que se passera-t-il en cas de revanche électorale du CD&V en Flandres, là où la contestation est la plus forte, là où existe une volonté politique de régionaliser le culte ?

Il conviendrait, certes, d’admettre que la présence de l'islam dans le paysage institutionnel belge pose des " problèmes " avant tout politiques et non juridiques. Mais si les dissensions infra communautaires minent cette présence de l'intérieur, elles devraient, néanmoins, trouver une solution " en interne " par une procédure de consultation acquise par tous, sans emmêler ce qui alimente le sectarisme et le clientélisme.

Faudrait-il encore confronter l’idéalité d’une éthique de la réconciliation avec la réalité d’une toute grande majorité de citoyens de confession musulmane qui n’aspirent qu’à vivre dans un climat d'apaisement, de paix et de confiance réciproque ?

Dr Didier Yassin Beyens

Ex vice-président de l’EMB

 


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