Elus d'origine étrangère aux élections de juin 1999: un premier bilan

paru dans Nouvelle Tribune (Bruxelles), n°20-21, Juin-Septembre 1999 [article écrit fin août]

1. En Flandre

La juriste Fauzaya Talhaoui (Agalev), Anversoise née en Espagne (Melilla) siégera à la Chambre, après le bref passage (février-juin 1999) du professeur de géographie Chokri Mahassine (SP), suppléant appelé à siéger dans cette assemblée.

C. Mahassine siégera lui au Conseil flamand (Vlaamse Raad), où il a été élu dans la circonscription du Limbourg avec 13.105 voix (deuxième score de la liste). Il est intéressant d'observer que le SP a obtenu quatre sièges dans cette circonscription, comme en 1995, et que ce candidat figurait en ordre utile, à la quatrième place. C'est donc son parti qui avait décidé dès le départ de favoriser son élection, il faut tout de même le souligner.

Deux candidates anversoises d'origine maghrébine ont réalisé chacune le deuxième score de leurs listes respectives aux élections régionales flamandes mais ont été pénalisées par la dévolution des voix de la case de tête, exactement comme Mohamed Sebbahi (Agalev) aux élections régionales de 1995 (3.392 voix) et déjà aux législatives (Chambre) de 1991 (1.300 voix): les conseillères communales Fatima Bali (Agalev, 9.673 voix, 1.624 aux communales de 1994, 1.176 à la Chambre en 1991) et Nahima Lanjri (CVP, 7.878 voix en 1999, 5.254 en 1995, 1.241 aux communales de 1994).

Ce phénomène s'était également produit pour des candidates Agalev arrivées en deuxième place en terme de voix de préférence aux élections provinciales à Anvers en 1991 et 1994. A contrario, le candidat Agalev limbourgeois d'origine maghrébine au Vlamse Raad, Mustapha Bencherif, n'a recueilli que le septième score personnel de la liste alors qu'il y figurait en troisième position, et n'est pas élu.

Fatima Bali, qui avait déjà posé en vain sa candidature à un échevinat voici quelques mois (après le départ de Mieke Vogels et de Patsy Sörensen pour cause de candidatures sénatoriale et européenne), a cette fois-ci exigé d'être cooptée au Sénat. Nahima Lanjri avait également eu des propos amers tant au soir des élections de 1995 que de celles-ci, reprochant à son parti un certain manque de courage politique (elle était la seule personne d'origine étrangère candidate sur une liste CVP hors de Bruxelles). En fin de compte, le seul à avoir été coopté au Sénat fédéral (en tant que sénateur communautaire) par son parti a été Chokri Mahassine (SP), rejoint par le socialiste francophone Mohamed Daïf.

Suite à la formation des gouvernements, deux suppléantes ont été appelées à siéger, Maryem Kaçar (Agalev), une jeune avocate turque gantoise, au Sénat fédéral, et Dalila Douifi (SP), ancienne porte-parole du ministre de l'Intérieur et conseillère communale à Torhout, à la Chambre fédérale. Madame Douifi, dont la mère est flamande et le père d'origine algérienne, a clairement déclaré après son élection qu'elle ne se considère aucunement comme faisant partie des "nouveaux Belges", et qu'elle n'a pas l'intention de s'occuper des questions d'immigration en particulier (Het Laatste Nieuws 14/7/99). C'est d'ailleurs également le discours que tient son camarade de parti Chokri Mahassine, alors que les deux élues Agalev se positionnent clairement en tant qu'élues ayant un rôle à jouer dans les relations entre Belges et personnes issues de l'immigration.

2. En Wallonie

Alberto Borin, député de Nivelles, ne se représentant plus, et Elio Di Rupo ayant quitté la Chambre pour la présidence de l'Exécutif régional wallon, il ne semble plus y avoir de député fédéral d'origine italienne. Au conseil régional, Paul Furlan, déjà élu communal socialiste thudinien, devient le premier élu d'origine italienne, alors qu'on attendait plutôt le conseiller communal Ecolo louviérois Antonio Caci et le bourgmestre PS d'Anthisnes, Marc Tarabella.

La sous-représentation politique des Italiens en Wallonie persiste donc, et persistera encore longtemps si la Belgique ne se décide pas soit à abroger la Convention de Strasbourg, qui entraîne la perte de la nationalité italienne pour les naturalisés et les optants, soit à élargir le droit de vote et d'éligibilité des résidents étrangers à toutes les assemblées, comme l'avait proposé le ministre-président Collignon voici plus de deux ans.

Signalons par ailleurs que le sénateur Ecolo Jacky Morael et le ministre régional bruxellois PRL Eric André, pour ne citer qu'eux, ne cachent pas leurs affinités particulières avec la langue et la culture italienne ni leur ascendance maternelle italienne: ne sont-ils pas eux aussi des politiciens "d'origine italienne", même si la nationalité italienne ne se transmet que par les hommes ?

3. Bruxelles

En tout, il y avait 93 candidats (dont 38 femmes) originaires du Monde arabe (pour la plupart du Maroc) pour les élections au Conseil régional de Bruxelles-Capitale du 13 juin 1999, contre 24 en 1995 et 2 en 1989. L'addition de leurs scores personnels se situe entre 16.155 (les voix du meilleur candidat sur chaque liste) et 53.295 voix (les voix de tous les candidats sur toutes les listes). En 1995, cette fourchette se situait entre 6.505 et 13.344 voix. En 1989, les deux candidats ont fait 249 voix en tout.

Il y avait 20 candidats originaires de Turquie à ces élections régionales, dont deux issus de la minorité assyrienne (chrétiens de langue néo-araméenne). Ils ont obtenu entre 5.634 et et 7.701 voix. En 1995, ils étaient 6, dont un Assyrien (Yakup Urun) et ils avaient obtenu au total entre 774 et 847 voix. Il n'y avait pas de candidat originaire de Turquie en 1989.

Les candidats d'origine maghrébine et turque qui ont obtenu les meilleurs résultats ne sont pas nécessairement ceux qui ont mené les campagnes d'affichage les plus agressives. Les électeurs, "ethniques" et autres, ont visiblement privilégié des candidats instruits: sept des huit élus bruxellois d'origine maghrébine ont des diplômes universitaires ou équivalents, dont deux ingénieurs industriels et un architecte, et le candidat d'origine turque le plus populaire (mais non élu à cause de l'effet de la case de tête), Ramazan Koyuncu (PS) est également ingénieur.

Comme aux communales de 1994 à Bruxelles, Forest et Saint-Josse et en 1995 aux régionales, des outsiders ont battu des élus sortants sur la liste du PS. Mahfoudh Romdhani, élu sortant, avait été relégué en ordre non utile sur la liste pour le punir de sa participation active au courant "L'Aiguillon" qui demande plus de démocratie interne et de transparence au sein de la fédération bruxelloise du PS, dirigée d'une poigne de fer par Philippe Moureaux (un peu comme les anciens partis uniques en Tunisie ou en Algérie). Mohamed Azzouzi, dont c'était la première candidature, a obtenu presque autant de voix que son concitoyen et mayeur de fraîche date, le conseiller régional sortant Jean Demannez, réélu de justesse.

Les résultats de ces élections doivent également être examinés dans la perspective des communales de l'année prochaine, notamment à Saint-Josse et à Molenbeek, où l'éventualité d'échevins d'origine marocaine, respectivement Mohamed Azzouzi et Mohamed Daïf, est de plus en plus envisageable.

Pierre-Yves Lambert

gestionnaire du site internet "Suffrage Universel"

auteur de "La participation politique des allochtones en Belgique - Historique et situation bruxelloise" (paru le 8 juin 1999 aux éditions Academia-Bruylant, collection SYBIDI)


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