[©Mehmet Koksal - journaliste indépendant - koksal@visas.be 18/04/2004 reproduction autorisée avec mention obligatoire de la source: article publié par la liste www.suffrage-universel.be et sur le site www.minorites.org

Visibilité des acteurs politiques belges d’origine congolaise

La diaspora congolaise en campagne

Dans le cadre des journées de solidarité belgo-congolaise, l’association ACORE - qui regroupe en réalité 4 autres associations (APAC asbl , POTO MO INDO asbl , ACC5 asbl, AFRI-CONTACT asbl) – organise ce samedi 17 avril 2004, un colloque sur la visibilité des acteurs politiques belges d’origine congolaise. Tout est arrangé pour que la journée d’étude qui démarre théoriquement à 9h00 soit un succès : la belle salle du Théâtre St Michel, les candidats d’origine congolaise, les modérateurs...

Malheureusement, on arrive devant une organisation catastrophique : une salle vide, des microphones impossibles à mettre en marche, des tables agencées sans uniformité et recouvertes à moitié par un tissu orangeâtre, à moitié par une curieuse banderole ornée d’un drapeau anglais avec comme slogan incompréhensible : "The foukda Tian Blang-Kosko". On nous rassure tout de suite pour préciser que cela n’a rien à voir avec la journée d’étude. Enfin, les dégâts seront tout de même limités aujourd’hui car on compte exactement 13 personnes présentes dans la salle... y compris les huit personnalités politiques "pour une salle d’une capacité de 2.000 personnes" se plaint l’un des candidats.

Première candidate sur le terrain dès 9h30, Marie-Jeanne Nyanga-Lumbala fulmine du regard sur les organisateurs. L’organisateur s’avance pour tenter une explication : "Vous pouvez comprendre svp ? On a dû changer hier en dernière minute le programme, on a fait un communiqué mais peut-être n’avez-vous rien reçu... Mama Jeanne, vous êtes quand même mama non ?". Mie-Jeanne concède un sourire, l’organisateur gagne un point.

Vers 11h00, le très sérieux vice-président d’Acore et Président de la fédération des Congolais de l’étranger (section Benelux), Jean-Pierre Mabaya, commence son discours sur un constat de désolation : "Chers invités, mes chers compatriotes, les Congolais sont toujours présents dès qu’il s’agit de musique mais absents là il faut dans un débat qui engage l’avenir du pays ! ". Très fâché, il n’hésite pas à s’en prendre au manque de conscience de la communauté congolaise et annonce les prémisses d’un nouveau projet de mutualité spécifique. "Tout le monde au Congo veut devenir Président ou ministre mais personne ne s’occupe du social. Depuis une année, on essaye de réfléchir sur le voisin-moyen et on a un projet de création d’un système de mutualité : Mutualité et coopératives africaines d’epargne et de crédit." On note au passage également l’absence des délégués du gouvernement belge qui auraient promis aux organisateurs d’assister au colloque. Après une présentation ennuyeuse (et pas du tout dans le programme) par un représentant des mutualités chrétiennes sur le fonctionnement des mutualités en Belgique, on passe enfin la parole aux politiques belges d’origine congolaise.

"Si Israël peut se permettre..."

C’est Joseph Amisi (MR), tenue décontractée brune mais hyper classe, qui ouvre le séance sur un ton ironique : "Je vous remercie pour ce colloque même si on s’adresse aux chaises vides. Notre pays d’origine va mal et les questions comme la mutualité, les syndicats ou l’écologie se posent quand les gens ont déjà réglé les besoins primaires comme manger, boire et se chauffer. Je suis candidat libéral et je milite pour la protection des capitaux pour les investisseurs au Congo car pour créer du travail, il faut créer des richesses. Le monde entier envie la Chine pour sa croissance économique mais c’est parce qu’il y a la création de richesse. Il faut garantir la protection des capitaux au Congo pour que l’argent entre au pays et même nous nous pourrons rentrer à ce moment avec des capitaux.

Chers amis, si Israël peut se permettre de se comporter comme il le fait dans la région, c’est parce que la diaspora juive est ce qu’elle est et particulièrement en ce moment avec la période électorale aux Etats-Unis. Si nous, membres de la diaspora congolaise, restons absents aujourd’hui comme nous étions absents hier, le Congo ne sera que ce que le monde veut nous imposer. Nos voisins sont nos voisins aujourd’hui et le resteront éternellement mais si le Congo est devenu un cadavre, à qui réellement la faute ? Si on n’est pas capable de transmettre un héritage à nos enfants, à qui la faute ? Au Rwanda ? Au Burundi ? Au colonialisme belge ? C’est un peu facile comme explication car pour moi nous sommes également responsables de cet état de fait. Le Congo est notre pays, son cadavre également !"

"La salle est vide pourquoi ?" Le modérateur et secrétaire-général mondial des Congolais de l’étranger passe ensuite la parole au duo démocrate-humaniste (CDH), Marie-Jeanne Nyanga-Lumbala et Bertin Mampaka. "Bonjour, je m’appelle Mie-Jeanne Nyanga-Lumbala, je suis conseillère communale à St Josse et Présidente de l’association Africa Sub-Sahara et candidate CDH pour les élections régionales. Ce qui m’a touch&s. Ce qui m’a touché aujourd’hui, c’est le discours de notre compatriote Jean-Pierre (ndlr : le représentant des mutualités chrétiennes) car le diagnostic c’est quoi ? C’est la faillite collective. Le remède c’est quoi ? C’est sensibiliser notre communauté. La salle est vide, pourquoi ? Et bien c’est parce qu’on ne fait peut-être pas assez. Il faut qu’on aille à la rencontre de la communauté congolaise, il faut les trouver où ils prient, où il mangent et boivent pour continuer à sensibiliser. Je dois ici comdamner nos intellectuels car finalement c’est nous les intellectuels. Dans notre parti, mon frère Bertin et moi essayons de démontrer que nous sommes unis. Le but est de montrer que les Congolais ne sont pas séparés et on essaye par là de montrer aussi l’exemple à nos électeurs."

"Le King, l’Empereur" Le charismatique Bertin Mampaka prend le micro et se soumet à l’exercice difficile d’un discours devant une salle vide. "Il est difficile de sortir nos compatriotes du lit un samedi matin pour parler politique. Mon ami Florimond et moi-même avions déjà eu l’expérience du samedi matin où comme aujourd’hui il y avait plus de candidats que de spectateurs dans la salle. Je voudrais quand même préciser que la communauté congolaise n’est pas composée de personnes assoiffées de pouvoir, de malades mentaux, de cupides qui ne veulent que des mandats. Non, on s’investit vraiment et on ne vit pas de la politique, en tout cas moi je n’en vis pas. Et, il existe aussi l’entraide entre les différents candidats. Gisèle, par exemple, me contacte pour me communiquer sa place sur sa liste comme je le fais avec mon ami Florimond.

On discutait d’ailleurs récemment ensemble en se demandant qui pourrait organiser la diaspora congolaise ici et Florimond me dit : ‘Mais nous !’ Mais au fond il a raison, ce sont plutôt eux les électeurs qui vont organiser cette diaspora en nous confiant des mandats à travers le vote. On va alors aller chercher les subsides pour les aider dans leurs associations ou activités. Je pense que c’est ici à Bruxelles que la diaspora doit se structurer. Notre immigration en France est trop récente, essentiellement de travail, aux Etats-Unis aussi et au Canada, elle est inexistente. Mais il existe déjà des discussions sur la définition de la diaspora. C’est difficile de donner une définition mais on peut déjà commencer à mon avis par structurer un lobby congolais. Un lobby qui commencera à peser sur les décisions qui se prennent dans ce pays sur les questions africaines. Mais il est décevant de voir le peu d’estime qu’on a souvent.

L’année passée, il y avait dans ce même endroit 50 églises congolaises réunies pour Madame Milquet, Monsieur Michel et Monsieur Di Rupo, bref toutes les stars de la politique belge et je trouve que c’était une erreur de ne pas laisser la parole à l’un des candidats d’origine congolaise les mieux placés sur les listes. Je vous rappelle que Boukourna au PS a été élu avec 7.800 voix (ndlr : Mohammed Boukourna, candidat PS d'origine marocaine en 2003, a fait 8.378 voix exactement) et que Kir, le King, l’Empereur comme je l’appelle, a fait pas moins de 7.000 voix (ndlr : Emir Kir, candidat PS d'origine turque en 2003, a fait 7.521 voix exactement). La visibilité des Africains en Europe dépend d’abord des Africains eux-mêmes, il faut qu’ils soutiennent et boostent les candidats.

Alors, est-ce que la multitude de candidatures diminue les chances de décrocher un mandat ? Bien sûr que oui. Ne peut-on pas se concentrer sur un ou deux candidats ? Du haut de mes 47 ans que je viens de fêter il y a quelques jours (ndlr : applaudissements de la salle), je peux vous dire que j’en suis déjà à ma quatrième campagne. Mais je voudrais aussi souligner une ambiguité qui existe en tant qu’homme politique belge d’origine congolaise. Nous ne pouvons pas tout faire. Nous n’avons pas encore assez de prise au sein de la politique. C’est vrai, au niveau de la ville de Bruxelles, j’ai pu apporter ma petite goutte d’influence sur le choix des pays en matière de coopération mais notre réelle influence reste à mes yeux encore beaucoup trop limitée. Ecoutez, on doit d’abord commencer à apaiser les gens. Il faut expliquer aux autres que Mampaka ou Mie-Jeanne ne vont pas donner des logements sociaux à tous, Bertin ne va pas ramener toute sa tribu, sa famille... Vous voyez où nous en sommes ? On a aussi souvent après, bien entendu, nos rôles de mandataires belges, un rôle d’ambassadeur, d’avocat de notre pays d’origine. Moi, je dis que si les 7 ou 8.000 votants d’origine congolaise trouvent aussi d’autres amis électeurs pour nous soutenir et nous donner une légitimité, on pourra alors exercer notre devoir en assurant votre visibilité. Comment ? En faisant des interpellations et en suivant les dossiers."

"Les Marocains et tout ça..."

Le modérateur remercie les ex-sociaux chrétiens et passe la parole aux candidats verts (Ecolo) : Thomas Mambo et sa "soeur-collègue" Isabelle Tumba. C’est le frère Mambo qui commence son discours. "On va participer pour la première fois aux élections régionales de notre région. Pourquoi me demandent certains ? C’est clair, nous avons le même droit et devoir en tant que citoyen. Alors les gens me demandent pourquoi je n’étais pas candidat avant ? Parce que je me suis décidé maintenant. Avant, j’ai soutenu les Mampaka, les Gisèle et ensuite des amis m’ont poussé pour que je sois candidat. Dans notre parti, ils ont mis 4 candidats africains et on veut d’ailleurs faire participer tout le monde : les Marocains et tout ça...

Enfin, vous savez aussi que notre parti a beaucoup milité pour les sans-papiers. Mes thèmes de campagne sont à 3 niveaux. La participation, le travail et l’organisation de la communauté pour pouvoir peser sur les décisions. Souvent on me parle de concurrents politiques, moi je n’accepte pas cela, je les vois comme des partenaires car ensemble nous allons essayer d’avoir nos représentants pour le bien de la communauté."

"La risée de tout le monde" Dans un style tout à fait différent, beaucoup plus passionnel, Isabelle Tumba raconte son expérience : "C’est tout à fait par hasard que je suis ici aujourd’hui car un jour je vois un homme noir devant notre régionale et je lui dis que je serai candidate. Il me montre alors l’affiche du débat, je vois alors les noms de mes frères et soeurs et je lui dis : ‘Mon Dieu !’ Vous m’excuserez mais je parle beaucoup de Dieu car sans lui je ne serai pas ici. C’est vrai que nous les Ecolos, on est devenu la risée de tout le monde, partout où l’on passe, les gens se moquent de nous et c’est pas juste. Je suis retournée au Congo et j’ai pleuré, je voulais écrire au Président pour dire que dans le pays chaque personne est quémandeur.

Dans notre parti, on tente vraiment d’aider les gens. J’ai vu Vincent Decroly partout, il était présent pour les sans-papiers avec sa petite fille sur les épaules. Je n’aime pas la politique car il y a des mensonges dedans, ça je dois vous le dire mais bon il faut qu’on soit là donc... J’étais par exemple émerveillée d’entendre Gosu, Gosin, comment il s’appelle encore... Gosuin oui ! C’est le premier Belge qui a parlé lors des précédentes élections de leur responsabilité au Congo. Je vous parle à coeur ouvert car il y a trop d’abus."

"Les jeunes new-jack fumant du chanvre" Le candidat socialiste Florimond Mayeur-Mayele vêtu d’une chemise bleue et d’une cravate verte, prononce en grand professionnel de la politique (PS, ex-PRL, ex-Alliance) un bon speech énergique et didactique qui nous sort un peu de l’unanimisme gentil entre les candidats : "A mon avis, la communauté africaine doit reposer sur un trépied : le monde associatif, l’économique et le politique. J’habite à Schaerbeek et je vois comment la communauté turque et marocaine s’organisent et finalement ils sont respectés. Moi-même et Bertin Mampaka sommes, en tant que premiers candidats d’origine congolaise, les rescapés de la politique. Je me souviens qu’en 1999, on nous traitait de traîtres et je me réjouis aujourd’hui que d’autres ont franchi le pas de la politique et que les choses s’améliorent.

Concernant les dernières élections 2003, il faut tirer les leçons de la non élection pour, cette fois, absolument réussir le 13 juin à envoyer quelqu’un au Parlement. Je salue ici tous les électeurs d’origine congolaise mais aussi plus largement d’autres Rwandais et Burundais qui n’hésitent pas à m’apporter leur soutien. J’ai remarqué lors de mes expériences que beaucoup d’électeurs ne maîtrisent pas les enjeux alors je précise qu’en 2000, on a voté pour les communales, en 2003 pour les fédérales (c’est-à-dire pour renouveler la composition de la Chambre et du Sénat) et qu’en 2004 on votera pour les régionales et européennes. Nous nous présentons pour les régionales et il existe des circonscriptions, c’est-à-dire que nous sommes limités territorialement aux 19 communes de la Région bruxelloise pour recueillir des voix. Quelqu’un qui habite, par exemple, à Drogenbos ne pourra pas voter pour nous.

Pour ces élections, j’en appelle au vote utile pour éviter l’échec de la dispersion des voix de l’année passée. Je pense qu’il faut penser à encourager les candidats qui ont toutes les chances de passer et qui figurent sur les listes de grands partis qui font des voix. Donc, je répète : la mobilisation de la communauté pour les candidats, le vote utile et la maîtrise des enjeux. Je rejoins ici l’idée exprimée par mon ami Mampaka, si les 8.000 électeurs arrivent à convaincre des Belgo-belges, nous disposerons alors d’une assiette suffisante pour gagner. Sur la liste PS, nous sommes 3 candidats d’origine sub-saharienne et il vous est possible de voter pour plusieurs candidats sur la même liste. Retenez que lors des élections précédentes 6 des 7 candidats maghrébins ont réussi à siéger. Alors ne vous privez pas et sur la liste PS faites un trio de vote pour envoyer 3 députés au Parlement.

Enfin, tout comme Madame Tumba, je partage le mot chrétien et je l’ai d’ailleurs mis sur mon tract. Mes autres thèmes sont le logement et l’emploi. D’ailleurs dès que Charles Picqué sera Ministre-Président le 13 juin prochain, on va s’attaquer à l’emploi. Je me promenais l’autre jour pour ma campagne et je rencontre des jeunes ‘new-jack’ (ndlr une des "bandes urbaines" de jeunes délinquants africains, avec "Black Demolition" e.a.) fumant du chanvre qui me disent : ‘M’enfin mon frère, à quoi sert d’avoir des diplômes ? Mon père en a 3 et il est encore au chômage...’ C’est donc sur cette discrimination à l’embauche qu’on veut aussi travailler et moi j’ai déjà une proposition concrète que j’introduirai si vous m’accordez votre confiance pour siéger. Je pense qu’il ne faudrait plus répondre à la maîtrise du néerlandais pour avoir accès à un emploi dans la fonction publique.

Pour terminer, je vous rappellerai que tant Bertin que moi-même sommes des anciens militants de partis politiques congolais. Bertin avec le PDSC (Parti démocrate-social chrétien) et moi au MNL (Mouvement national Lumumba) et si on veut être respecté, il faut que la mère patrie se redresse économiquement, politiquement et socialement."

"Notre chouchou, notre princesse" L’autre candidate socialiste et échevine à St Josse, Dorah Ilunga Kabulu, qu’un membre informaticien du public qualifiera de "notre chouchou, notre princesse" arrive sur la scène après avoir célébré le 5e mariage du samedi dans sa commune en tant qu’échevine de l’Etat civil ad interim. C’est vrai que la charmante Dorah brille particulièrement pour un samedi matin, habillée en tailleur 3 pièces pour la circonstance précédente, elle explique déjà son boulot de mandataire communal. Pour le colloque, elle parle de sa quatrième compétence en coopération développement et évoque le jumelage de la ville de Bruxelles avec Kinshasa et la ville de Liège avec Lumumbashi.

"Votez pour les 3 et on aura 9.000 voix"

Dernière candidate à prendre la parole, Gisèle Mandaila-Malamba (MR-FDF) est très à l’aise aux côtés de ses amis en politique. Elle prend son large sourire et commence son discours en rappelant sa précédente campagne : "Mon cheval de bataille lors des précédentes élections a justement été la visibilité de la communauté africaine au sein de la politique belge. Il y a deux raisons qui expliquent cela : d’abord les Congolais constituent la communauté sub-saharienne la plus représentée en Belgique, ensuite pour éviter de perdurer dans les conditions de vie de nos parents. Moi-même, je veux laisser un héritage et je ne veux pas faire maintenant devant vous ma campagne électorale mais j’insiste pour que le combat se fasse au Congo comme en Belgique. Il faut une force qui vienne de notre pays d’origine et qui nous pousse, nous propulse en Belgique.

Je pense que c’est important que Dorah ait justement pris le portefeuille coopération et développement car elle pourra enfin servir de relais entre la Belgique et le Congo. Moi aussi mon but est d’être le relais entre la Belgique et l’Afrique mais attention je veux travailler pour tous les Belges. Je veux travailler pour tous et en même temps servir de pont avec les Africains. Personnellement, je pense qu’il faut des Africains dans tous les partis politiques : Ecolo, PS, etc. quand bien même on n’aura pas le même portefeuille que Dorah en coopération et développement. Le vrai lobby congolais commencera par la visibilité. Il ne faut pas regarder loin, le simple fait d’avoir des mandats au sein de nos partis change déjà beaucoup de choses. Nous faisons cela pour préparer les générations futures, on va y aller patiemment pour que demain on ne regarde plus nos enfants comme on nous a regardé. La passion politique, je vous dis que je l’ai ! Il y a énormément de travail encore à faire car quand on va quelque part, on vous classe directement comme ‘noir’, on ne vous demande pas si vous êtes congolais, burundais...

C’est vrai que la communauté nous critique souvent et parfois c’est bien car la critique fait avancer les choses mais il faut surtout nous suivre quand on organise des rencontres, il faut venir participer. Alors déjà quelque chose à faire si vous votez pour le PS, on est 3, alors au lieu de donner votre voix uniquement à notre frère Florimond, cochez aussi Dorah et Michel Luzolo. Si vous voulez voter MR et bien on est 2, donc Gisèle et Joseph Amisi, et ainsi de suite pour les autres partis. Ce qui est important pour nous, c’est le poids qu’on représente au sein de nos partis. Par exemple, si vous ne votez que pour moi et que j’ai environ 3.000 et bien l’importance de la communauté au sein de mon parti sera de 3.000 voix mais si vous votez également pour mon frère Amisi, on aura alors 6.000 voix. Les autres ne vont pas voir que vous représentez en réalité une personne, ils vont croire que les Africains représentent 6.000. La même chose au PS où ils sont 3 et bien votez pour les 3 et on aura 9.000 voix. C’est cette importance qui sera retenue. Sinon on va continuer à tourniquer, comme dit la chanson.

Même si je vais chercher des voix ailleurs aussi il me faut votre soutien car les autres nous regardent qu’en terme d’origine congolaise et comme si il n’y avait que des Africains qui votent pour nous."

 

L’interpellation

Le modérateur clôt la première partie et invite à participer au débat. Après quelques questions sur la fameuse possibilité d’un système de mutualité congolaise en Belgique, la discussion se porte sur les engagements politiques.

Depuis tout à l’heure, la salle s’est un petit peu remplie avec des jeunes d’origine africaine qui écoutent patiemment les orateurs. Vu la longueur du débat dû au retard, on décide alors de prendre la parole pour un tir groupé en direction des candidats présents : "Question à Monsieur Thomas Mambo : Pourquoi avez-vous choisi le parti Ecolo ? Auriez-vous pu être le candidat d’un autre parti ? Je poserai une autre question à M. Mayeur-Mayele car lui il a déjà prouvé qu’il pouvait être le candidat d’un autre parti. Vous proposez de supprimer l’obligation de connaître le néerlandais dans la fonction publique, proposition que vous déposerez au Parlement régional si vous êtes élu, comment comptez-vous faire pour convaincre les représentants de la communauté néerlandophone ? Madame Dorah Ilunga, pourquoi êtes-vous candidate aux régionales, n’avez-vous déjà pas assez de boulot comme échevine ? Madame Gisèle Mandaila, pourquoi avez-vous choisi le MR ? Que représente pour vous le combat francophone puisque vous êtes FDF et comment réagissez-vous à la proposition de Florimond Mayeur-Mayele concernant la suppression de la connaissance du néerlandais pour l’accès à la fonction publique. Madame Mie-Jeanne Nyanga-Lumbala, quel est votre poids au sein du parti CDH ? Monsieur Bertin Mampaka, comment comptez-vous cette fois faire campagne ? Enfin, question à tous les candidats, où est le contenu idéologique de vos engagements ? On a l’impression que vous êtes interchangeables sans modification de contenu et que la seule chose qui vous intéresse est d’avoir un élu d’origine congolaise. Peut-on dire que les partis n’ont pas d’importance ?"

La réponse des candidats Mie-Jeanne Nyanga-Lumbala (CDH) : Je pèse et je compte certainement au sein de mon parti. Je suis 21e candidate actuellement pour les élections régionales, j’étais 3e suppléante lors des précédentes élections législatives, je siège au comité d’arrondissement pour mon parti et j’étais 5e sur la liste communale puis j’ai été élue. Donc oui j’ai un certain poids au sein de mon parti. Sur le débat idéologique, on veut éviter de donner une image négative de gens qui se battent mais ça viendra probablement.

Gisèle Mandaila-Malamba (MR-FDF) : Je suis effectivement FDF et membre du MR. Généralement les Africains se disent socialistes car ils confondent le socialisme et la solidarité naturelle au sein de la communauté congolaise. Je suis au MR car je suis d’abord économiste de formation, donc le libéralisme et le capitalisme je baigne dedans. Je suis socialiste de coeur, de nature mais il faut créer la richesse, l’économie pour créer de l’emploi aux gens. Je suis plutôt francophone FDF car j’ai subi des injustices tant comme congolaise que comme francophone quand je cherchais un emploi. A chaque fois, on me disait qu’il fallait être parfaite bilingue mais personne n’est parfaitement quelque chose dans la vie. Moi, je suis pour un bilinguisme de service, c’est à dire fonctionnel. Je ne comprends pas pourquoi un comptable dans une société qui n’a aucun contact avec la clientèle doit maîtriser parfaitement le néerlandais.

Concernant la proposition de mon frère Florimond, j’y adhère complètement pour contrer le ‘racisme linguistique’ des Néerlandophones. Donc, moi je prône le bilinguisme de service en milieu fermé. D’autant plus que la plupart du temps, ce sont des Néerlandophones qui n’habitent même pas à Bruxelles qui viennent prendre la place des Bruxellois. Même à un balayeur, on demande d’être bilingue, c’est vraiment n’importe quoi. Avez-vous vu les examens linguistiques du Selor ? C’est une aberration totale ! Sur la question de l’idéologie, je considère que pour le moment ce n’est pas l’essentiel. C’est un peu comme la pyramide de Maslow, on veut d’abord assouvir les besoins primaires de notre communauté en terme d’emploi et de logement avant d’entrer dans les débats idéologiques.

Dorah Ilunga-Kabulu (PS) : Personnellement, je pense qu’il faut arrêter de penser que la communauté ne comprend rien à la politique et que les partis importent peu. Ce n’est à mon avis pas juste. Je crois qu’il faut expliquer les enjeux et les idéologies de différents partis aux gens de notre communauté avec chacun sa propre sensibilité.

Alors pouquoi je suis candidate aux régionales ? C’est vrai que j’ai beaucoup hésité, j’étais débordé par ma nouvelle fonction et je le suis toujours car j’assure en plus certaines compétences à titre intérimaire, mais j’ai constaté une chose lors de mes permanences. A chaque fois, je reçois une quinzaine de personnes et je vois que la plupart des cas concernent des matières régionales ou fédérales où il existe justement une législation parfois aberrante. Je ne pouvais pas rester en retrait, donc c’est surtout un état de besoin qui m’a poussé. Je suis d’une éducation combative et contre la passivité.

Bertin Mampaka (CDH) : Sur la question de l’idéologie, je crois que les deux précédentes femmes vous ont très bien répondu et de manière contradictoire au plus. Gisèle dit qu’on doit d’abord se concentrer sur les besoins primaires et Dorah explique que le débat existe déjà. Je crois qu’on veut surtout éviter de donner l’image de gens qui s’empoignent. Au CDH, on pense que les grands clivages gauche-droite n’existent plus. Les gens se positionnent maintenant sur des thèmes et ça c’est prouvé par des études scientifiques. L’euthanasie, l’avortement, le mariage homosexuel, etc. sur toutes ces questions vous pouvez trouver des gens avec des positions communes dans chaque parti.

Alors comment vais-je faire campagne cette fois ? Vous êtes chroniqueur politique et vous savez sans aucun doute qu’en politique il n’existe qu’une chose c’est le nombre de voix, comme le dit le professeur Delperée. Je suis 9e candidat, j’ai des dents longues, très longues... Je suis un chasseur, je fais peur et je suis pas venu pour jouer. J’ai des ambitions, parfois un peu folles comme celle de devenir un jour Ministre-Président de la Région, mais la campagne précédente était vraiment pourrie. La campagne actuelle, je pense la faire comme tout le monde, tout naturellement en essayant de dépassionner l’enjeu.

Thomas MAMBO (Ecolo) : Pourquoi j’ai choisi Ecolo? Et bien depuis mes études primaires et secondaires et après à l’université j’ai toujours été un activiste dans les partis de gauche. J’avais certes des amis partout. Je voulais un moment adhérer au PS mais en analysant le système de piliers en Belgique, j’ai compris que ce n’était pas bien. J’ai été dans un congrès PS et tout ça, je voulais adhérer au PS de Jette mais dans les grands partis on ne vous écoute pas. Mais attention, j’ai participé aussi à un dîner au MR mais là par exemple vous voyez d’autres groupes sociaux avec des notables et tout. Je ne me sentais pas à l’aise. Vous savez au Congo, je côtoie des ministres, des professeurs d’université qui sont mes amis mais ici ce n’est pas la même chose. Oui, on peut dire cela comme ça, je suis de droite au Congo et de gauche en Belgique.

Florimond Mayeur-Mayele (PS) : Sur la question idéologique, oui je pense qu’il faut se positionner. Soyons clairs ! Si quelqu’un est de gauche, il n’est pas de droite et s’il est de droite, il n’est pas de gauche. Mes chers amis, qui a assoupli les conditions de naturalisation, c’est le parti socialiste. Qui a fait voter le droit de vote pour les étrangers ? C’est le pôle progressiste (PS-Ecolo) avec à sa tête le parti socialiste. Qui a régularisé les sans-papiers ? C’est en réalité le travail du parti socialiste que le ministre de l’Intérieur de l’époque Antoine Dusquesne (MR) a dû exécuter. Et je dois préciser qu’il a été un piètre exécutant de la volonté généreuse du PS car vu le retard dans les dossiers... Le PS est un parti ouvert qui compte en son sein des chrétiens, pas comme le CDH qui préfère au contraire gommer son identité chrétienne en changeant de nom, chers amis ! C’est aussi le PS qui a nommé les deux seuls échevins d’origine sub-saharienne en Belgique.

Sur la question du néerlandais, je voudrais préciser que je ne suis pas contre le néerlandais. Non, je suis contre l’obstacle à l’emploi. Je veux être le plus près possible de ce qui intéresse les gens et à mon avis c’est l’emploi. Bruxelles est une grande ville francophone, on entend à 90 % le français dans les rues. Je ne comprends pas pourquoi nous devrions accepter le diktat des Néerlandophones. Sérieusement, à Bruxelles, on parle plus souvent le turc ou l’arabe que le néerlandais. Je veux supprimer les discriminations dans les emplois publics. Dans une société comme la STIB, il faut presque être originaire du Maroc pour y travailler. Je déposerai donc une proposition de loi qui visera le bilinguisme de service. Si les Flamands bloquent ? La Belgique est un pays où tout se négocie et il est hors de question que 10% de la population bloque l’accès à l’emploi à 90% des Bruxellois. Remarquez que, comme par hasard, c’est surtout les jeunes d’origine africaine qui souffrent le plus de cette discrimination. Bruxelles doit être une ville multilingue. Moi, je parle le néerlandais, ik ben perfekt tweetalig, geen probleem dus!

Propos recueillis par Mehmet Koksal (koksal@visas.be)

Infos complémentaires

Elections régionales bruxelloises 13 juin 2004 - candidats originaires (un ou deux parents) d'Afrique subsaharienne

CDH

9. Bertin Mampaka

21. Mie-Jeanne Nyanga-Lumbala

 

Ecolo

26. Jean-Louis Berlemont

43. Barbara Trachte

59. Isabelle Tumba

60. Thomas Mambo Elanga

 

MR

19. Gisèle Mandaila Malamba

34. Joseph Amisi

 

PS

25. Michel Luzolo

36. Dorah Ilunga Kabulu

59. Florimond Mayeur-Mayele

 

archives

Bertin Mampaka http://minorites.org/article.php?IDA=49 : relire l’article sur Bertin Mampaka lors de la précédente campagne législative. (voir aussi les carnets de campagne)

Contactez Bertin Mampaka : http://www.lecdh.be/bruxelles

Mie-Jeanne Nyanga-Lumbala http://www.lecdh.be/portraits/nyanga.htm

Isabelle Tumba http://www.geocities.com/militantarchief/archives/98/36/ASILE.html : entretien avec I. Tumba sur le droit d’asile

Gisèle Mandaila Malamba http://www.grioo.com/info573.html : " (...) Et pour être franche, mon modèle était d'ailleurs François Mitterrand. Etonnant ! Oui mais en grandissant, je me suis franchement davantage intéressé aux affaires locales en Belgique et j'ai appris à mieux décrypter les méandres de la politique belge bien que c'est loin d'être évident ! J'ai donc adhéré au PS (Parti socialiste) dès l'age de 16 ans sans toutefois en être membre puisque j'étais d'ailleurs mineure. J'allais simplement aux réunions politiques. (...) Oui tout à fait, j'idéalisais sur ce parti. Antiracisme, solidarité, etc. Mais une fois à l'université, j'ai été vite déçue car les actes étaient en décalage manifeste avec la théorie notamment sur le plan de l'intégration des minorités, l'intégration de la communauté Africaine en particulier. J'étais d'autant plus déçue et frustrée que les socialistes étaient au pouvoir et que les choses n'avaient pas l'air d'avancer véritablement. A partir de là, il n'a pas été difficile pour moi d'être sensible aux sollicitations des " libéraux " d'autant qu'ils étaient moins hypocrites sur leurs intentions. "

http://www.nkolo-mboka.com/index-28-Juillet-2003.html

Dorah Ilunga Kabulu http://minorites.org/article.php?IDA=269 : notre article sur la prestation de serment comme échevine à Saint-Josse-ten-Noode. .

http://www.marandy.be/cover/ilunga/fiche6.htm : document vidéo historique sur la prestation de serment.

http://www.congoindependant.com/10questions.htm

http://www.ps.be/index.cfm?Content_ID=-8662196&R_ID=1010 : l’interview flash de Dorah Ilunga par le PS.


www.suffrage-universel.be
La participation politique des allochtones en Belgique
Elus d'origine non-européenne en Belgique
Elections 2004
Carnets et clichés de campagne, par Mehmet KOKSAL