Pierre-Yves Lambert, La participation politique des allochtones en Belgique - Historique et situation bruxelloise, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant (coll. Sybidi Papers), juin 1999,  122p., ISBN 2-87209-555-1
avertissement: cette version en ligne ne correspond pas exactement à l'ouvrage publié en 1999, qui reste disponible chez l'éditeur Academia-Bruylant, de même que d'autres dans l'excellente collection Sybidi Papers, elle ne peut donc être utilisée pour les citations 

Sommaire -  Introduction -Chapitre I - Chapitre II - Chapitre III - Chapitre IV - Chapitre V -  Conclusions - Sources

I. 7. Nouveau code de la nationalité avant-gardiste: vers une Belgique encore plus multilingue...

Pierre-Yves LAMBERT

[paru dans Migrations Societé Vol. 14 - N° 80, mars - avril 2002]

Le Code de la nationalité belge de 1932, qui coordonnait pour l'essentiel diverses lois datant pour certaines des premières années de l'indépendance (1830), est resté en vigueur pendant 52 ans. Pendant les deux décennies suivantes, il n'y a pas eu moins de cinq réformes successives, en 1984, 1991, 1995, 1999 et 2000.

Pour avoir une idée du problème qui se posait avant ces réformes, il suffira de rappeler qu'en 1981 sur les 878.577 étrangers recensés en Belgique plus du tiers (36,5%) y étaient nés, une proportion en hausse par rapport à 1970 (30,8%). En 1991, date du dernier recensement, elle avait un peu diminué jusqu'à 34,4%.

La réforme entrée en vigueur le 1er mai 2000 (Moniteur belge 1/3/2000) a placé la Belgique à l'avant-garde en matière d'acquisition de nationalité, puisque sur simple déclaration à l'administration municipale tout résident séjournant légalement depuis sept ans en Belgique peut devenir belge en un mois après enquête menée par le Parquet sur sa conduite, et non sur sa "volonté d'intégration", comme c'était le cas précédemment.

Concrètement, cela signifie par exemple qu'il n'y a aucune exigence de connaissance d'une des trois langues nationales (néerlandais, français, allemand), mais aussi que les administrations chargées de vérifier en un mois le passé judiciaire ou les éventuelles menaces pour la sûreté de l'Etat que signifierait l'acquisition de la nationalité belge par un étranger ont à faire face à une situation quasi ingérable vu le nombre de dossiers, ce qui les a poussé à trouver des subterfuges pour rallonger les délais, au mépris de la loi et dans l'indifférence quasi-générale.

Certains partis flamands, l'opposition sociale-chrétienne CD&V (ex-CVP) en tête, avec le soutien du Vlaams Blok (extrême-droite, opposition) et d'une partie du VLD (libéraux, membres de la coaliton gouvernementale), plaident déjà pour de nouvelles modifications dans un sens plus restrictif. L'exigence d'un durcissement de la législation sur la nationalité et le refus d'étendre le droit de vote local aux étrangers hors Union Européenne sont mis en avant par ces partis d'une manière qui n'est pas sans rappeler la campagne de la CDU dans le Land allemand de Hesse début 1999 contre le projet d'assouplissement de la loi sur la nationalité du gouvernement SPD-Grünen, ce alors que les prochaines élections belges ne sont pas prévues avant 2003.

Une affaire de corruption d'un fonctionnaire de la commission des naturalisations à la Chambre des députés mise à jour en décembre 2000 a été outrancièrement exploitée par les opposants à la nouvelle loi, ce alors que les dossiers concernés (des membres de la mafia juive géorgienne) relevaient tous de législations précédentes (1995 ou 1999).

L'amalgame a également été fait, tant par les opposants à cette loi que par certains journalistes, surtout dans les médias audiovisuels, entre naturalisations et régularisations de sans -papiers, ce qui a donné l'impression à une partie de la population que des dizaines de milliers de clandestins allaient devenir belges du jour au lendemain...

Les partis francophones, y compris la fédération libérale PRL-FDF-MCC (majorité gouvernementale) et l'opposition sociale-chrétienne du PSC, sont favorables à la fois au maintien de la nouvelle législation sur la nationalité et à l'extension du droit de vote aux "non-Européens", de même que les socialistes et les écologistes du Nord et du Sud du pays, ainsi que les radicaux démocrates flamands de SPIRIT (ex-aile gauche de l'ex-parti nationaliste Volksunie).

Paradoxalement, les parlementaires sociaux-chrétiens flamands au niveau régional bruxellois et au Parlement européen ont voté des motions en faveur du droit de vote de tous les résidents, et certains de leurs collègues au niveau fédéral (Chambre et Sénat) pourraient contribuer, contre l'avis de la majorité de leur parti, à voter une loi dans ce sens avec les cinq partis de la majorité, qui s'opposeraient ainsi frontalement au VLD. Ce dernier, par la voix de son président, a d'ores et déjà, à plusieurs reprises depuis quelques semaines, menacé de faire tomber le gouvernement si une telle "majorité alternative" réussissait à voter l'extension du droit de vote.

L'adoption de la loi de 2000 sur l'acquisition de la nationalité belge résultait en fait de l'accord de gouvernement de juillet 1999, quand cinq des six partis de la coalition étaient favorables à l'extension du droit de vote, alors que le VLD y était si radicalement opposé qu'il préféra céder sur un assouplissement de l'accession à la nationalité, pourtant générateur du droit de vote et d'éligibilité à tous les niveaux, et non au seul échelon local.

Cette obsession contre l'extension du droit de vote de la part du VLD est assez cyniquement justifiée dans les médias par ses dirigeants au motif que "la majorité des gens en Flandre n'en veulent pas", alors que les mêmes dirigeants, dont le président du parti et le premier ministre du gouvernement flamand, ont ouvertement déclaré qu'ils y sont favorables à titre personnel, position qui semble d'ailleurs être également celle du... premier ministre, membre du même parti. Il faut par ailleurs rappeler que le VLD a voté contre le droit de vote des résidents ressortissants de pays membres de l'Union Européenne, sous la législature précédente.

On le voit, dans le contexte belge, l'accession à la nationalité est étroitement liée à l'extension du droit de vote aux résidents étrangers non-UE, la facilitation de la première devenant un argument contre tout nouveau découplage entre nationalité et droit de vote. Paradoxalement, la classe politique belge ne tient par contre aucunement compte de la situation des ressortissants UE, dont la quasi totalité risque de rester durablement étrangère sur le sol belge, et donc dépourvue du droit de voter à d'autres élections que communales et européennes, tout simplement parce qu'une convention du Conseil de l'Eiurope datant de 1963 et ratifiée par la Belgique en... 1992, prévoit qu'en acquérant volontairement la nationalité d'un des Etats contractants le demandeur perd sa nationalité d'origine.

Cette ratification pour le moins tardive a coïncidé avec la modification de la loi italienne, qui permettait désormais d'acquérir une autre nationalité tout en restant italien. Il y a plus de 200.000 Italiens en Belgique, et plus de 100.000 Français aussi, tous désormais empêchés d'acquérir la nationalité d'un pays en voie d'éclatement sans abandonner leur nationalité d'origine...

 

1. Le nouveau Code de la nationalité [source de ce chapitre: Conseil Jeunesse Développement, Les nouvelles dispositions du Code de la nationalité belge, Guide pratique, Bruxelles, mai 2000 (mise à jour mars 2001), 9p. (http://users.skynet.be/suffrage-universel/su/cjd.rtf)]

 

La réforme dite "snel-Belg-wet" (loi pour devenir belge en vitesse) de 2000 a porté sur deux aspects principaux, d'une part la modification des conditions d'acquisition de la nationalité, essentiellement les procédures de déclaration et de naturalisation, de l'autre la facilitation des démarches en vue d'introduire un dossier en vue de cette acquisition. La distinction entre "déclaration" et "naturalisation" est importante: dans le premier cas, le dossier est traité par le Parquet, avec avis de l'Office des Etrangers et de la Sûreté de l'Etat (DST belge), alors que dans le second cas le dossier passe d'abord par la commission des naturalisations de la Chambre des députés, qui demande au Parquet, à l'O.E. et à la Sûreté de lui communiquer toute information (surtout négative) susceptible de peser sur la décision. Après examen par les députés membres de ladite commission, le dossier doit être adopté en séance pléniaire, signé par le chef de l'Etat et le ministre de la Justice, puis publié au Moniteur belge (le Journal Officiel).

 

1.1. déclaration de nationalité

La procédure de déclaration a été considérablement étendue, alors qu'elle ne concernait auparavant que des mineurs d'âge elle peut désormais être introduite par:

4) La personne qui :

Remarque : la vie commune en Belgique doit perdurer au moment de la déclaration et durant toute la procédure.

1.2. naturalisation

Pour devenir belge par naturalisation, il faut remplir les conditions suivantes:

2) avoir atteint l'âge de 18 ans

1.3. aspects pratiques

Un élément important de la nouvelle loi a été la suppression de la notion de volonté d'intégration, et donc du questionnaire parfois humiliant qui était infligé au demandeur par un policier communal qui l'interprétait parfois à sa façon, et qui était seul juge du niveau de connaissance linguistique du demandeur. Pour avoir subi cet interrogatoire (en 1985) et l'avoir vu pratiquer, voire pratiqué moi-même, à la fin des années 1990, je peux témoigner qu'il laissait la porte ouverte à l'arbitraire le plus absolu, tant les questions posées au policier dans le formulaire-type à propos du demandeur étaient vagues et susceptibles d'interprétations diverses: "l'intéressé fréquente-t-il des Belges ?", "parle-t-il le français en famille", "s'intéresse-t-il à la vie économique, sociale et politique de la Belgique". Selon l'interrogateur, cette dernière question pouvait par exemple être reformulée: soit "regardez-vous le journal télévisé d'une chaîne belge, lisez-vous parfois un journal belge", soit "pourriez-vous me donner le noms d'un écrivain belge, d'un peintre belge et d'un musicien belge" (authentique).

Du point de vue du demandeur, surtout maghrébin ou congolais, un aspect important de la réforme a été la possibilité de produire à la place de l'extrait d'acte de naissance délivré par la municipalité de naissance dans le pays d'origine un document faisant foi délivré par les autorités diplomatiques, voire par un juge de paix belge.

1.4. Réintégration de nationalité pour les anciens colonisés [Lambert Pierre-Yves, La participation politique des allochtones en Belgique - Historique et situation bruxelloise, Louvain-la-Neuve, Editions Academia-Bruylant, collection Sybidi Papers, 1999, 122p., voir pp. 24-25]

Contrairement à la France et aux Pays-Bas, la Belgique a toujours maintenu la distinction entre entre ses citoyens d’origine métropolitaine et ses sujets indigènes de statut colonial au Congo. Le Ruanda-Urundi était un territoire administré par la Belgique sous mandat de la SDN, puis sous tutelle de l’ONU, dont les habitants possédaient donc des nationalités distinctes. Les Congolais, Rwandais et Burundais ne bénéficient pas de mesures spécifiques pour acquérir la nationalité belge. Seuls les très rares "Belges de statut congolais" qui avaient résidé en métropole pendant au moins trois ans avant l'indépendance pouvaient opter pour la nationalité belge, suivant la même procédure que les étrangers nés en Belgique. Cette possibilité d'acquérir la nationalité belge de plein droit était ouverte endéans les deux ans de l'entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 1961 ou, pour les mineurs, "avant qu'ils aient accompli leur vingt-troisième année".

La législation zaïroise prévoyait la perte de la nationalité zaïroise en cas d’acquisition d’une autre nationalité: "La nationalité zaïroise est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec une autre nationalité." (art. 8 de l'" Acte Constitutionnel de la Transition"). Cela n'a pas empêché plusieurs milliers de Zaïrois d'acquérir la nationalité belge dans les années 1980-90.

 

2. La mise en application du nouveau Code de la nationalité [sources: observations et informations personnelles, ainsi que Franck Caestecker (EHSAL), Mathieu Bietlot (ULB), Frans Hardeman (EHSAL), Andrea Rea (ULB), Effectivité et efficience de la loi sur la nationalité du 1er mars 2000, ULB (GERME)-EHSAL, rapport réalisé à la demande du Ministre de la Justice, Bruxelles, 1er avril 2001,257p. (document non publié)]

Entrée en vigueur le 2 mai 2000, la réforme a été enrayée dès les premiers jours, la circulaire d'application n'ayant été publiée que quelques jours auparavant et les administrations communales n'ayant aucunement été informées du contenu tant de la loi que de la circulaire. Le flottement a duré pendant plusieurs mois dans certaines communes malgré la publication d'une nouvelle circulaire [Caesteker et al.]. Ainsi que le soulignent les auteurs d'un rapport commandé par le ministre de la Justice, les débuts d'application de la loi ont été handicapés par la proximité des élections communales (octobre 2000, avec clôture des listes d'électeurs sur base du Registre National au 31 juillet), le nombre élevé des demandes (près de 47.000 en huit mois), le personnel insuffisant, les vacances et les interprétations divergentes des communes et des parquets auxquelles les circulaires ministérielles n'ont que partiellement mis fin.

Ainsi, la faculté de présenter un document remplaçant l'extrait d'acte de naissance n'a pas été digérée par les officiers et autres employés d'état-civil de nombreuses communes, qui se sont donc empressés d'y mettre des obstacles divers, ce qui a entraîné des questions parlementaires et de nouvelles précisions ministérielles, notamment par voie de circulaires, pas toujours respectées.

Dans plusieurs parquets, des magistrats ont continué à demander à la police d'enquêter sur la volonté d'intégration des demandeurs, sous la couverture d'"enquêtes de moralité", voire sur la réalité de leur domicile en Belgique. Et, surtout au parquet de Bruxelles, où près du tiers des demandes avaient été introduites en 2000, le délai d'un mois pour la procédure de déclaration a été interprété comme "un mois après envoi par le parquet à l'administration communale d'un accusé de réception", étant bien entendu que cet envoi était dès lors indéfiniment retardé. A tel point qu'actuellement le délai d'acquisition par déclaration est de dix mois à Bruxelles, au lieu d'un comme le prévoit la loi.

Le rapport 2000 du Centre pour l'Egalité des Chances [http://www.antiracisme.be/fr/rapports/centre/2001/121_nationalite.pdf], un organisme officiel, conclut ainsi sur les premiers mois d'application de la nouvelle législation:

3. La population étrangère et les acquisitions de nationalité [les statistiques proviennent principalement des différents recueils de l'Institut National de Statistiques, des réponses aux questions parlementaires et des rapports du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme (http://www.antiracisme.be)]

Au 1er janvier 1999, il y avait en Belgique, sur 9.321.772 habitants, 891.980 étrangers dont 562.534 ressortissants de l'Union Européenne (63,1%) parmi lequels 202.645 Italiens, les autres étant principalement des Français (105.113), des Néerlandais (84.213), des Espagnols (46.635) et des Allemands (34.044). Cinq nationalités, regroupant 53% de tous les résidents étrangers, dont les titulaires la perdraient automatiquement en devenant belges, de par les lois nationales des pays d'origine ou de par la Convention de Strasbourg de 1963 pour la réduction des cas de pluralité de nationalités (Conseil de l'Europe).

D'après les premières statistiques [Caestecker et al., p.23], il y aurait eu 54.948 demandes de nationalité pour l'année 2000, toutes procédures confondues (15% avant l'entrée en vigueur de la réforme le 2 mai), dont 5.394 émanant de Marocains (soit 6,5% du nombre total de Marocains âgés de plus de 18 ans au 1/1/2000), 4.325 de Turcs (8,8%), 1.557 de Congolais (17,8%) et seulement 415 d'Italiens (0,2%).

suite (chapitre II)